ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE
ÉPOQUE ROMAINE > 30 AVANT J.-C. – 395 APRÈS J.- C.
BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)
H. 41,8 cm ; L. 15,1 cm ; P. 7,7 cm
Co. 214
ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE
ÉPOQUE ROMAINE > 30 AVANT J.-C. – 395 APRÈS J.- C.
BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)
H. 41,8 cm ; L. 15,1 cm ; P. 7,7 cm
Co. 214
L’œuvre présente un état de conservation correct. La statuette affiche encore de nombreux détails malgré l’oxydation avancée du métal. Plusieurs fragments manquent néanmoins, en particulier les deux bras et l’œil droit originellement rapportés ainsi que les pointes de la couronne. Deux larges ouvertures, laissant voir l’intérieur de l’œuvre, sont aussi visibles sur la joue et l’épaule droites, ainsi que deux trous plus petits sur le genou droit et à l’intérieur de la jambe.
L’œuvre figure la déesse syncrétique Isis-Aphrodite, debout dans une attitude de léger contrapposto vers la gauche. A l’exception de son imposante couronne, d’un collier et d’un bracelet à la cheville droite, la déesse est entièrement nue. Sa couronne complexe, une version très élaborée et ajourée du calathos que l’on trouve dans sa version classique sur la tête de sa parèdre Sérapis (cf. Co. 1236), se compose d’un diadème orné d’un petit uraeus disqué et stylisé, le corps lové était rendu par deux excroissances rondes de part et d’autre, surmonté de cinq larges branches. Deux seulement sont complètes et représentent un décor végétal de pétales flanquant une tige centrale, probablement un épi de blé ; la branche centrale représente la couronne isiaque de la tradition égyptienne, constituée de deux oreilles de vache et cornes lyriformes encadrant le disque solaire. La base des branches reprend le motif d’un chapiteau ionique dénué d’ornementation. La face avant est décorée de volutes et d’un fin bandeau d’oves sur le bord supérieur, tandis que la face interne de la couronne est laissée brute.
Deux fines bandes en relief sont visibles sur la partie restante des bras : tout en modelant deux bracelets au niveau du biceps, elles devaient également permettre d’accrocher les bras rapportés. On retrouve ce système sur des statuettes similaires conservées au Brooklyn Museum (inv. n° 44.224), au Walters Art Museum (inv. n°54.949), ainsi qu’au Louvre (RIDDER André de, Musée du Louvre : Les Bronzes Antiques, Paris, 1913, no. 12).
Les deux bras étant manquants, leur position originelle est inconnue. La déesse pourrait avoir eu les bras repliés vers l’avant, tenant en mains une statuette ou une bandelette de tissu, comme sur les œuvres respectivement au Brooklyn Museumet au Louvre (inv. n° Br441). Alternativement, la figurine pourrait avoir les bras ballants, comme sur l’œuvre du Louvre (inv. n° Br4410).
Les caractéristiques anatomiques de la déesse reprennent les canons de beauté romains, soit ceux d’une figure féminine aux formes voluptueuses. Le cou, large et presque gras, se prolonge en des épaules tombantes. Le large buste est modelé de seins ronds sur lesquels a été figuré le téton. La taille n’est pas marquée et le nombril est peu profond, mais les hanches sont larges et les fesses, les cuisses et le ventre sont dodus. Le modelé des jambes est minimal, les genoux n’étant pas rendus, non plus que la cheville surmontant des pieds potelés ; en revanche, le creux des reins est clairement modelé et les orteils détaillés individuellement.
Le visage est rond et les joues pleines, mais le nez est relativement fin ; la bouche, de petite taille, présente des commissures très marquées. Les yeux, laissés vides par le moulage, étaient ensuite remplis d’une incrustation blanche (très probablement en pâte de verre) au centre de laquelle était pratiquée une seconde incrustation, sans doute noire, pour créer la pupille. Une épaisse chevelure bouclée entoure le visage, chaque mèche étant figurée par des stries, et recouvre les oreilles avant de se rejoindre au niveau de la nuque pour former un chignon. Les cheveux du sommet du crâne, séparés par une raie centrale, sont stylisés par de fines vaguelettes. Deux épaisses mèches torsadées retombent enfin sur les épaules à la façon de boucles à l’anglaise.
En accord avec ses attributions liées à l’amour et à l’érotisme, la déesse est abondamment parée. Les oreilles ne se discernent que par la présence de grandes boucles d’oreilles sphériques, que l’on retrouve également sur la statuette du musée Rodin Co. 1442. Un bracelet simplement figuré par un cordon de métal entoure la cheville droite ; un nœud est visible sur la face intérieure de la cheville, dont les deux pans remontent sur le mollet au lieu de descendre de façon réaliste sur la malléole. Son large sautoir, dont le cordon arrière se croise entre les omoplates, associe de petites perles ovales à un large pendentif descendant sur le plexus et figurant Aphrodite anadyomène. Ce type de collier se retrouve souvent sur les statuettes d’Isis-Aphrodite (par ex. Brooklyn Museum inv. n° 37.572E ; Walters Art Museum 54.949 ; ou encore les statuettes du musée Rodin Co. 1418 et Co. 1435).
Ainsi, la couronne signale la déesse comme Isis, tandis que le pendentif la désigne comme Aphrodite, rappelant le statut syncrétique de cette divinité. À l’époque romaine, un culte très important est rendu à Aphrodite en Egypte et en Syrie, suite notamment aux conquêtes d’Alexandre le Grand. Fille du Ciel et de la Mer selon les récits mythologiques grecs, sa sortie des eaux l’associe pour les Egyptiens aux dieux démiurges émergeant des eaux primordiales. Quant à Isis, sœur-épouse d’Osiris et déesse magicienne puissante, elle est, très tôt dans l’histoire égyptienne et particulièrement dès le Nouvel Empire, surtout célébrée comme déesse-mère par excellence. Son fils Horus est en effet issu de l’union posthume avec Osiris, démembré par son frère Seth. Isis, après avoir rassemblé toutes les parties du corps de son époux grâce à des bandelettes, se transforme en milan pour ranimer la virilité d’Osiris et procréer Horus. Ainsi, à la Basse Époque, son culte propre gagne en puissance et la démarque peu à peu du mythe osirien et de ses aspects funéraires. Dans la dévotion populaire, elle est de plus en plus étroitement associée à Hathor, déesse-vache nourricière dont elle était déjà souvent rapprochée par le passé. Elle reprend ainsi les attributs d’Hathor, notamment les cornes de vache flanquant le disque solaire que l’on retrouve sur la couronne de la statuette Co. 214, et devient le symbole de la féminité par excellence, ce qui justifie son association avec Aphrodite après la conquête grecque. Vénérée durant toute la période pharaonique, son culte connaît un développement sans précédent à partir de la période ptolémaïque (Bricault 2013). Les rois hellénistiques lui font notamment ériger un grand temple à Philae où sont soulignés son aspect cosmique et sa supériorité sur les autres dieux. Elle forme avec Osiris et Horus la triade d’Abydos et, à l’époque gréco-romaine, la triade isiaque aux côtés de Sérapis, qui a supplanté Osiris, et d’Harpocrate, l’Horus-enfant (pour plus d’informations sur ces divinités, voir les notices des statuettes Co. 687 (Harpocrate), Co. 772 (Osiris) et Co. 1230 (Sérapis) conservées au musée Rodin).
Produites dans des ateliers locaux, les figurines comme l’œuvre Co. 214 étaient généralement adaptées de célèbres statues, et les mêmes types iconographiques se retrouvent dans les statuettes en terre cuite. L’image d’Aphrodite émergeant de la mer et essorant ses cheveux, figurée ici par le pendentif, a été fixée par un artiste grec du IIIe siècle avant notre ère, Doïdalses. Ce topos connaît des retentissements en Égypte jusqu’à l’époque copte (comme sur le relief du Louvre inv. n° E14280), où elle est associée à une métaphore du baptême et de la renaissance chrétienne.
Au vu de la qualité de la manufacture de l’œuvre Co. 214, il s’agit probablement d’un ex-votoexposé dans un temple ou sur l’autel particulier d’un foyer fortuné. Certains contrats de mariage des premiers siècles de notre ère et trouvés en Égypte incluent des cadeaux complétant la dot, les parapherna, destinés à l’usage quotidien de l’épouse. Parmi eux se trouve souvent une statuette en bronze ou, plus rarement, en argent, de la déesse Isis-Aphrodite. Les laraires placés à l’intérieur des maisons, en particulier, pouvaient contenir une image de cette déesse, en tant que divinité protectrice des femmes et du mariage, forme hellénisée des déesses Isis et Hathor, ou Astarté au Proche-Orient.
Le musée Rodin conserve plusieurs statuettes de la déesse Aphrodite, Co. 1418 et Co. 1435. Elles représentent Aphrodite anadyomène (sortant du bain). En revanche, l’œuvre Co. 214 figure Isis-Aphrodite en mêlant l’iconographie isiaque à celle de la déesse romaine.
Anépigraphe.
Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.
BOREUX 1913 : 249e ?
Donation à l’État français en 1916.