Femme respirant une fleur de lotus

Égypte > provenance inconnue

Nouvel Empire > première moitié de la XVIIIe dynastie

[voir chronologie]

Calcaire

H. 27,2 cm ; L. 26,2 cm ; Ép. 5,2 cm

Co. 946

Commentaire

Etat de conservation

Le fragment est dans un état de conservation moyen. Aucun bord n’est d’origine : les chants, parsemés d’éclats, portent des traces d’outils (ciseaux plats) ; le chant gauche semble avoir été scié. Le revers est marqué par des traces de ciseaux plats et de sciage ou de râpe.

La cassure de l’extrémité inférieure, oblique, a emporté le corps de la femme sous les épaules. La surface est marquée par plusieurs éclats dont deux importants, à la fin de la première et sous la quatrième colonne de hiéroglyphes. Les reliefs sont émoussés, en particulier la fleur de lotus.

 

Le fragment conserve des restes de polychromie : bleu et ocre rouge dans le creux des hiéroglyphes ; traces infimes de bleu sur le collier ; ocre jaune, blanc, noir et rose dans les creux des carnations ; blanc et noir dans l’œil ; noir sur la perruque.

La teinte générale ocre jaune du fragment apparaît avec plus ou moins d’intensité selon les endroits ; elle est notamment très présente sur la moitié gauche de l’œuvre mais totalement absente sur une largeur d’environ 1 cm le long de la ligne de sciage du chant gauche, ainsi que sur ce chant. Sans analyse, il est difficile de déterminer s’il s’agit de la terre d’enfouissement ou d’une intervention tardive, après insertion du fragment dans une structure de présentation qui aurait protégé l’extrémité gauche.

 

En bordure de la cavité pratiquée pour insérer la tige métallique du socle, la pierre, plus fragile, s’est fracturée, sans doute lors du soclage ; le fragment a été recollé, probablement à la même époque.

 

Les rapports d’intervention de 2000 et 2008 ont signalé un très mauvais été de conservation du fragment : la pierre présentait une cohésion faible et possédait des zones de fragilité avec des pulvérulences et des délitements ponctuels en feuillets, en particulier sur la face et le dessous du relief.

Description

Ce fragment est séparé en deux par une ligne horizontale incisée qui délimite deux types de motifs exécutés dans deux techniques différentes et ainsi deux épaisseurs de pierre : plusieurs colonnes de hiéroglyphes en creux occupent la partie supérieure tandis qu’une figure féminine, sculptée en bas-relief, occupe la partie inférieure.

 

La femme, tournée vers la droite, porte à son nez une fleur conventionnellement appelée « fleur de lotus ». La courbure de la tige ainsi que l’amorce des bras nous permettent, au moyen de comparaisons avec de nombreux reliefs, de restituer sa position. Elle était assise sur un siège ou bien agenouillée au sol. Son bras droit était tendu, la main ouverte, posée sur sa cuisse ou placée au-dessus ; sa main gauche était ramenée contre son torse, enserrant la tige de la fleur (on peut encore voir une partie de son pouce).

Si l’action de porter une fleur à son nez est bien attestée dès l’Ancien Empire (par exemple sur le relief du musée du Louvre E 10971, attribué à la VIe dynastie ; ZIEGLER, 1990, p. 276-279, ill. 277-279, n° 53) et se développe au Moyen Empire, tant pour les hommes (comme sur la stèle du général Antef, conservée à la Ny Carlsberg Glyptotek (AEIN 0963) et datée de la XIe dynastie) que pour les femmes (voir par exemple la stèle de la XIIe dynastie conservée au British Museum, EA 143 ; BUDGE, 1912, pl. 44), cette façon de tenir la fleur, le poing contre la poitrine, induisant une double courbure de la tige, ne semble pas apparaître avant le début du Nouvel Empire (on la trouve par exemple sur la stèle EA 218 du British Museum, datée du début de la XVIIIe dynastie, sur laquelle une femme est agenouillée non pas au sol mais sur un siège ; HALL, 1925, pl. 10 ; ou encore sur la stèle du musée du Louvre E 145, de la même période, qui figure cette fois un homme assis sur un siège). L’œuvre Co. 946, généralement attribuée au Moyen Empire, ne doit donc pas être antérieure à la XVIIIe dynastie.

 

La femme est coiffée d’une perruque longue tripartite peinte en noire et parée d’un large collier-ousekh dont les détails ne sont pas indiqués. Le vêtement qu’elle porte est encore partiellement visible : une seule bretelle, la gauche, est représentée, de même que la délimitation supérieure de la robe. Les représentations de robe fourreau à bretelle unique sont bien attestées au Moyen Empire (comme sur la stèle EA 561 du British Museum ; BUDGE, 1912, pl. 25) mais aussi au Nouvel Empire, notamment durant la première moitié de la XVIIIe dynastie (voir par exemple la stèle inv. 07.420 du Brooklyn Museum).

Le visage, peint en ocre jaune, présente un nez droit dont la base est peu prononcée, au bout arrondi. L’œil, surmonté par un sourcil arqué figuré en relief, était peint en blanc et l’iris en noir d’après les traces de pigments. Le coin interne de l’œil est aigu et avance sur le nez tandis que la partie externe descend légèrement vers la joue. Il est prolongé par un trait de fard en relief qui s’étend vers la tempe. L’oreille est petite et haut placée. La bouche, aux lèvres charnues, semble esquisser un léger sourire. Le menton est court et anguleux. Le cou est peu allongé.

 

Un petit élément en relief est conservé devant la femme, à l’angle inférieur droit du fragment. Le motif apparaît incurvé et peint en noir. Il s’agit probablement d’un morceau de perruque longue ou mi-longue, appartenant à un personnage placé devant elle et tourné dans le même sens. Il pourrait être son époux, possiblement le « […]emhat » mentionné dans le texte. D’après les conventions de représentation des couples assis dans l’art égyptien, la femme enlace généralement son conjoint en posant une main sur son épaule la plus éloignée, comme on peut le voir sur la stèle d’Intef, datée de la XIe dynastie et conservée au Metropolitan Museum of Art (inv. 57.95). Sur l’œuvre du musée Rodin, la position des bras de la femme ne permet pas de contact tactile avec ce personnage inconnu. Cependant, il existe des images de couples qui ne suivent pas cette règle, comme sur le papyrus EA 9900,32 du British Museum, attribué au règne de Thoutmosis IV.

On peut également envisager la possibilité d’un groupe familial figuré sous le texte, comme on en trouve sur de nombreuses stèles (par exemple la stèle EA 311 du British Museum, de la XVIIIe dynastie, sur laquelle sont présents les parents, la fratrie et la descendance du propriétaire de l’objet, tous agenouillés les uns derrière les autres sur deux registres). Cependant, chaque personnage représenté est généralement accompagné d’une légende qui donne son nom et son lien de parenté avec le propriétaire de la stèle, ce qui ne semble pas être le cas sur ce relief.

Enfin, s’il n’est pas un morceau de perruque, cet élément pourrait appartenir à une offrande, disposée sur une table ou présentée par une autre personne (enfant ou serviteur).

 

Ce que la littérature égyptologique appelle « fleur de lotus » – désignée comme séshen en égyptien ancien – est en réalité une fleur de nénuphar bleu (Nymphaea caerulea). Lorsqu’elle émerge de l’eau, cette fleur de nénuphar s’ouvre au matin, laissant apparaître une boule d’étamines jaune or au milieu de pétales bleutés, et se referme l’après-midi. Ainsi la fleur reste-t-elle ouverte le temps d’une journée et peut s’ouvrir trois ou quatre jours d’affilée seulement. Après quelques jours, la fleur, fanée et fermée, sombre dans l’eau et n’émerge plus. Les théologiens égyptiens y ont vu l'image du disque solaire sortant de l'océan primordial (le Noun) chaque matin et ont intégré cette fleur à leur cosmogonie. Ils l’ont également associée à leur devenir post-mortem puisqu’elle est évoquée dans le chapitre 81 du Livre des Morts. Le « lotus » est donc associé au soleil, à la naissance et à la renaissance.

Sa symbolique va plus loin : la fleur est souvent représentée portée au nez par les particuliers depuis l’Ancien Empire jusqu’aux dernières dynasties ou bien portée comme ornement sur le corps ou dans les cheveux, tant par les hommes que par les femmes. On a pu voir dans sa présence une référence à l’agrément de son parfum et donc à la joie en général, à la sensualité voire à l’érotisme. On a même évoqué la possibilité que cette fleur ait été employée comme psychotrope, car elle apparaît souvent dans des scènes de banquet et de réjouissances, associée à la mandragore. Tenue en main par des défunts, elle pourrait également faire référence au pouvoir de renaissance prêté aux cosmétiques en général et au parfum en particulier : celui-ci occupe une place importante dans les croyances, car il est l’odeur des dieux et agit donc comme protection contre la putréfaction et, par extension, la mort.

 

Le geste de porter une fleur de « lotus » à son nez comme le fait le personnage de la stèle Co. 946, geste qui peut paraître trivial ou coquet, est en réalité éminemment symbolique et particulièrement omniprésent sur les reliefs à caractère funéraire pour évoquer la renaissance post-mortem et la jouissance des sens que le défunt espère conserver même après sa mort.

 

Ce fragment de relief, combinant inscriptions à caractère autobiographique et figurations humaines, appartenait sans doute à une stèle plutôt qu’à une paroi de tombe. La proximité entre le texte et l’image, impliquant une surface de travail restreinte, appuie cette hypothèse. Le fragment ayant été déposé, c'est-à-dire découpé et enlevé du monument d’origine, il devait appartenir à une stèle très épaisse ou à une stèle fausse-porte intégrée dans une structure plus importante.

Inscription

La partie supérieure du fragment est occupée par la fin de quatre colonnes d’inscriptions hiéroglyphiques gravées, bien conservées, à l’exception d’un gros éclat sur le dernier signe de la première colonne. Ces colonnes sont séparées les unes des autres par une ligne verticale gravée, également visible devant la première colonne. À l’extrémité gauche, quelques signes sont partiellement visibles : ils appartiennent sans doute à une cinquième colonne de hiéroglyphes mais il ne subsiste aucune trace de ligne de séparation entre cette dernière et la précédente.

Le creux des signes porte encore des traces de peinture bleue ; les lignes de séparation sont peintes en rouge.

La lecture se fait de haut en bas et de droite à gauche. Le texte est malheureusement trop incomplet pour que l’on puisse en comprendre le sens, à peine peut-on distinguer quelques mots, mais il semble s’agir d’une inscription à caractère autobiographique.

On reconnaît la fin d’un anthroponyme « […]emhat », qui pourrait correspondre aux noms Amenemhat ou Montouemhat, très courants à partir du Moyen Empire (cf. RANKE, 1935, p. 28, n°8 et p. 154, n°7). Il s’agit peut-être du nom du propriétaire de la stèle, dont les propos sont rapportés immédiatement après.

Historique

Acquise par Rodin entre 1893 et 1913 ; achat ?

 

Donation Rodin à l’État français 1916

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