Nain
Cercle harpocratique
Commentaire
Etat de conservation
Incomplet. La pièce est lacunaire à partir du ventre à l'avers et des hanches au revers. Le bouton de lotus droit est lacunaire.
Description
Ce personnage masculin est représenté debout, vêtu d'une tunique et d’un manteau drapé autour du cou. Il est en torsion, la tête tournée à droite, l’épaule gauche légèrement en arrière. Ses deux bras sont atrophiés et il s’agit vraisemblablement d’un nain. Il tient un thyrse qui lui barre le torse, dirigé vers son épaule gauche. Il est chauve mais coiffé de deux boutons de lotus. Son visage, bien que les détails soient émoussés, est grossier. Il a un haut front marqué d’une ride d’expression, des arcades sourcilières épaisses et froncées, le nez épaté et court et des lèvres épaisses.
Cette figurine peut être rattachée à une catégorie de figurines regroupées sous l’appellation générique des « grotesques ». Le terme désigne une série de motifs très populaires à l'époque hellénistique, ayant en commun la représentation de figures grimaçantes et contorsionnées à l'aspect disgracieux. Il est employé pour désigner les figurines de plusieurs ensembles iconographiques : les cas pathologiques – la qualité de la réalisation de beaucoup de ces objets permettent d'ailleurs de reconnaître des maladies et des handicaps : nanisme, hydrocéphalie, lordoses, gibbosités, etc… - ; les représentations dites « réalistes », que l'on peut rapprocher des « sujets de genre » ; enfin, les caricatures de diverses catégories sociales, qu’il s’agisse des prêtres ou de personnes de rang subalterne.
Ces figures ont été conçues en Grèce où elles dérivent des sujets théâtraux, apparus au Ve siècle av. J.-C. Les acteurs sont alors représentés dans leur rôle, caricaturaux, avec leur masque, un ventre postiche et un phallus postiche lorsque le rôle l'impose. Progressivement, la représentation de l’individu en tant que tel vient se substituer à l’acteur qui l’incarne. Ainsi, certains personnages tels la nourrice, le pugiliste ou l'esclave, intègrent au IIIe siècle le répertoire des caricatures et des figures réalistes.
La figurine Co. 6124 semble se rapporter à la fois à la première (sujets pathologiques) et à la dernière (caricatures à charge sociale) des catégories citées, démontrant l’aspect parfois artificiel des nomenclatures. En effet, l’atrophie des bras indiquent que le personnage est atteint de nanisme. De plus la présence des deux boutons de lotus permet de rattacher ce personnage à la sphère harpocratique car il s’agit d’un des attributs les plus courants du dieu. Les fidèles d’Harpocrate sont justement représentés affublés de ses signes distinctifs, les deux boutons de lotus et la mèche de l’enfance. Cette dernière est ici absente. Une autre caractéristique iconographique des membres du clergé harpocratique est le crâne entièrement rasé, à l’exception de deux touffes de cheveux laissées apparentes sur le front, également absentes chez Co. 2588.
Les contextes de découverte des « grotesques » sont généralement mal connus, à quelques exceptions près. Outre l’exemple cultuel fourni en Égypte par le sanctuaire de Ras el-Soda, des contextes funéraires sont attestés à Myrina et des contextes domestiques à Priène. La diversité apparente des contextes d’utilisation, conduit à une interprétation difficile de la fonction. Les traductions ponctuelles des « grotesques » en métal et en ivoire montrent que ces effigies devaient avoir une certaine importance, ou du moins que leurs propriétaires devaient être parfois d'un certain niveau social. Les ateliers de Smyrne en particulier sont réputés pour leur importante production de « grotesques » pathologiques, dont la production a été autrefois reliée à la présence d’écoles de médecine dans la cité. Ces types auraient alors eu une fonction médicale de documentation. En l’absence de texte antique confirmant cette hypothèse, celle-ci n’est pas toujours retenue par la communauté scientifique (Hasselin & Laugier 2009, p. 172 ; Jeammet & Ballet 2011, p. 73).
Luca Giuliani, en regard d'un texte d'Athénée (IV, 128 cff), propose un niveau de lecture additionnel à l’hypothèse de Laubscher : plus que de simples représentations pour la table, l'infirme, l’esclave ou la vieille auraient été véritablement présents lors des festivités afin de distraire l'assemblée de bourgeois. Les « grotesques festifs » peuvent alors être identifiés comme des grulloi (bouffons dansants, souvent atteints de nanisme) ou des gelotopoioi (personnes risibles par leur attitude). Ces figurines et leurs modèles qui prêtaient à rire à ces occasions, auraient constitué, pour les classes aisées et fortunées, la garantie par contraste de leur propre bien-être et de leur intégrité physique, voire de leur intégrité mentale (Jeammet & Ballet 2011, p. 74-75). Était-ce également le cas des membres du clergé harpocratique ?