Baubo

Égypte > Provenance inconnue

Époque Hellénistique et romaine

[VOIR CHRONOLOGIE]

Terre cuite

H. 5,3 CM ; L. 6,8 CM 

Co. 6091

Commentaire

Etat de conservation

L'œuvre est en mauvais état de conservation. Elle est cassée au niveau de la tête, des coudes, du pied gauche et de la partie saillante du sein gauche.

Description

La figurine représente une femme nue, assise sur les fesses. La tête est manquante. Les jambes sont repliées, cuisses collées contre les jambes, laissant le sexe apparent. Les bras sont particulièrement longs. Ils partent des épaules, formant une ligne horizontales puis un angle droit au-dessus des genoux. Ils plongent entre les cuisses, les entourent, les mains venant saisir les fesses. Tous les doigts sont ciselés. Les zones entre les bras et le corps sont comblées. A l’endroit où était la tête sort une petite tige métallique. Entre la tête et les seins apparaît un bourrelet horizontal. Les seins sont de taille moyenne, ronds et fermes. La partie saillante du sein gauche est cassée. Le mamelon droit est figuré à l’aide d’une petite perforation peu profonde. Le volume de la poitrine est souligné à l’aide d’incision pratiquée autour des deux seins. De fines incisions ondulées entre la poitrine et le nombril représentent les bourrelets du ventre. Le nombril est incisé et est de forme triangulaire, la pointe du triangle tournée vers le bas. La zone entre le nombril et le pubis est saillante, mettant en valeur le volume du ventre. Le pubis a ses bords incisés profondément. Les parties génitales de la figurine sont représentée à l’aide d’une large et profonde incision verticale dont le sommet est arrondi. On y observe des traces noires. Les cuisses ainsi que les jambes sont larges. Le pied droit est grossièrement modelé, les orteils n’étant pas représentés. Le pied gauche est cassé. La forme générale du dos est plate. On remarque, au niveau des omoplates, une incision horizontale. Au niveau des lombaires, un léger creux a été formé à l’aide du doigt du potier. Les fesses sont rondes, séparées par une incision verticale relativement profonde. Le dessous des fesses est plat, permettant à la figurine de tenir debout.

 

La figurine Co. 6091 appartient au type de figurine féminine « baubo ». Il s’agit de figurines qui font leur à la période ptolémaïque et qui perdurent jusque pendant la période romaine. L’iconographie de ces figurines est grecque ou gréco-romaine. Les figurines de ce type retrouvées en Egypte proviennent en très grande majorité de Basse Egypte, principalement d’Alexandrie et de Naucratis ainsi que du Fayoum. Leurs contextes de découvertes sont variés, allant de casernes aux temples en passant par des ateliers. La majorité des figurines de type Baubo, réalisées au cours de la période gréco-romaine, à l’instar de la figurine Co. 6091, celles fabriquées en Egypte sont réalisés en terre cuite moulée. Mais des exemplaires de la même époque existent également en faïence égyptienne, à l’image de la figurine conservée au Metropolitan Museum of Arts sous le numéro d’inventaire 15.43.329 et en verre, à l’image des figurines conservées au British Museum sous le numéro d’inventaire 18,710612.22  retrouvées en Egypte mais de fabrication phénicienne. Ces figurines sont toutes représentées nues, toutes offrants leur sexe, jambes écartées, la position exacte des mains et des bras variant d’une figurine à l’autre. Certaines sont dépourvues de tête, d’autres peuvent chevaucher un sanglier, d’autres encore jouent de la harpe et ce type inclue également les figurines où la tête est placée au-dessus de la vulve.

 

Le nom de Baubo fait référence à la version orphique du mythe de Déméter rapportée par Clément d’Alexandrie. L’hymne raconte que la déesse, désespérée par l’enlèvement de sa fille, Perséphone, par Hadès, trouve refuge à Eleusis où elle est recueillie par Baubo. Celle-ci l’invite à boire, mais essuie un refus de la part de Déméter. Elle décide alors de soulever ses jupes, lui dévoilant ainsi ses parties génitales, faisant rire la déesse qui accepte la boisson. Ce mythe fait écho à l’hymne homérique où Iambé remplaçant Baubo parvient à dérider la déesse en lui disant des plaisanteries grossières. La découverte de figurines représentant chacune une femme dont le visage est posé juste au-dessus de la vulve datant de la fin du IVe siècle av. J.-C. dans les vestiges du temple de Déméter à Priène incita les archéologues à donner leur donner le nom de Baubo, bien que ces figurines n’immortalisent pas le geste de dévoiler ostensiblement ses parties génitales tel que rapporté dans l’hymne orphique de Déméter. Les figurines découvertes en Egypte reçurent également naturellement le nom de Baubo, leur posture rappelant plus clairement celle de Baubo dans le mythe orphique.

 

Avant d’être des représentations de corps féminins, ces figurines sont avant un geste, celui de l’anasyrma, terme grec désignant le fait de soulever ses jupes dans le but d’exposer sa vulve. Un parallèle égyptien existe selon lequel la déesse Hathor aurait également eu recours à l’anasyrma afin de sortir le dieu Rê de sa bouderie, après qu’il ait été offensé par le dieu Baba. Différents rituels égyptiens incluent ce geste à l’image des rituels hathoriques incluant des danses interprétées par les khenerout, où celles-ci exposaient leur vulve au moment culminant du rituel, ou encore lors du festival de Bubastis, durant lequel les femmes y participant dévoilaient leurs parties génitales, selon Hérodote et Diodore de Sicile. On peut également mentionner le culte du taureau Apis. En effet, durant les quarante jours auprès le choix du nouveau taureau sacré, les officiantes lui exhibaient leur vulve afin d’assurer la régénération posthume du précédent taureau décédé en le corps du nouveau choisi, assurant ainsi la transmission des attributs divins d’un animal à un autre. Ainsi, si l’anasyrma possède de toute évidence un caractère bénéfique et régénérateur en Egypte, il est à noter que les auteurs s’accordent à dire que le même geste effectué dans un contexte grec et diriger vers une personnalité masculine perd sa fonction consolatrice comme dans la légende de Baubo, et devient au contraire un geste de défiance et de honte.

 

Faut-il voir dans ces statuettes des représentations de Baubo ? La réponse n’est pas si aisée. Certains éléments peuvent effectivement renvoyer au mythe de Déméter et à la gestuelle de Baubo. Il y a tout d’abord l’exhibition de la vulve ainsi que le caractère grossier et grotesque des figurines qui fait écho à un moment précis des Mystères d’Eleusis durant lequel les initiés devaient adopter un comportement et un langage grossier. La présence occasionnelle du sanglier sous la figurine féminine pourrait éventuellement évoquer certains aspects des Mystères d’Eleusis. L’étymologie-même du nom de Baubo fait débat. Sa racine forme des termes se rapportant à divers domaines, notamment à celui du sommeil mais également au mot Baubo, qui désigne un godemiché. Cependant, on peut aussi rapprocher le nom de Baubo de celui de la déesse sumérienne Bau, vénérée également chez les Phéniciens parfois sous le nom de Baev et qui est une divinité des eaux primordiales. Le nom de Baubo est loin de faire l’unanimité parmi les chercheurs, certains proposant plutôt d’y voir une représentation d’Omphale, reine de Lydie connue pour avoir soumis Héraclès à sa volonté avant de l’épouser. En effet, des amulettes à l’effigie d’Omphale étaient répandues dans le monde romain et réputées protéger les futurs mères et leur bébé. Quoi qu’il en soit, l’intérêt de ces figurines réside vraisemblablement moins dans la figure mythique qu’elles peuvent représenter que dans le geste qu’elles immortalisent.

 

Si la vulgarité apparente de ces figurines peut faire immédiatement penser à des objets à caractère purement et uniquement érotique, il n’est pas certain qu’il faille les limiter à ce seul aspect. En effet, plusieurs représentations féminines offrant ostensiblement leur sexe à la vue de tous, écartant parfois même ses lèvres à pleines mains existent dans différentes cultures et à différentes époques. On peut citer, à titre d’exemple, la déesse indienne de la ferilité Lajja Gauri (une de ses représentations est conservée au Metropolitan Museum of Arts sous le numéro d’inventaire 2000.284.13) dont les attributs divins sont précisément symbolisés par son exhibition sexuelle. Les figurines de type Baubo découvertes en Egypte sont à remettre dans le contexte de la longue et riche évolution des figurines féminines nues d’Egypte. Dès le Moyen Empire, un certain nombre de types de figurines féminines font leur apparition en Egypte. Représentées nues, ces femmes n’ont ni la posture éhontée des Baubos ni leur apparence grosse. Elles sont au contraire longilignes et dépourvue de toute vulgarité, en dépit de leur nudité. Une autre grande catégorie est connue en Egypte, c’est celle des figurines féminines nues accompagnées d’un enfant. Dans les deux cas et peur importe leurs caractéristiques iconographiques, elles sont liées à la fertilité et possèdent des fonctions protectrices et régénératrices aussi bien pour les vivants que pour les morts. A la Basse Epoque apparaît une nouvelle catégorie de figurines, préparant l’apparition des Baubos. Il s’agit d’un type de figurine représentant la vulve, jambes écartées, prémisses des figurines de l’époque ptolémaïque. Un exemplaire est conservé au British Museum sous le numéro d’inventaire 1965,0930,954. Plusieurs auteurs s’accordent à dire qu’il est possible que les Baubos ne représentent pas des femmes naturellement corpulentes mais peut-être plutôt des femmes enceintes. D’ailleurs, selon Clément d’Alexandrie, au moment de l’exécution par Baubo de son anasyrma, il semblerait qu’elle ait eu quelque chose à l’intérieur de son vagin. Il peut s’agir d’un objet phallique ou bien d’un enfant. La possibilité d’une grossesse expliquerait la corpulence des figurines. Les Baubos sont des petits objets pour beaucoup pourvus d’un orifice au sommet du crâne permettant de les suspendre et peut-être de les porter sur soi comme des amulettes. Il semblerait donc qu’on ait affaire à des figurines garantissant la fertilité, la protection et la régénération à l’image des précédentes figurines égyptiennes connues jusqu’à lors. De telles amulettes font écho aux photographies de prostituées montrant leur vulve retrouvées dans les poches des soldats japonais tués lors de la Seconde Guerre mondiale. Dans la culture japonaise, la vulve possède un pouvoir magique certain et de telles représentations assuraient aux soldats protection et régénération dans      l’au-delà.

 

Les figurines de type Baubo sont donc à comprendre à la fois comme une étape fondamentale de la longue évolution des figurines féminines égyptiennes ainsi que comme une tradition hybride, mêlant des influences grecques évidentes, à des traditions égyptiennes et sans doute aussi des influences orientales, aux fonctions apotropaïques.

 

La figurine Co. 6090 s’inscrit dans cette tradition de la piété personnelle. De toute évidence, la tête était moulée à part et devait se ficher sur le cou en s’enfonçant sur la tige de métal. L’absence d’orifice au niveau du fessier indique l’absence d’une perforation verticale. Ainsi, la figurine n’était pas suspendue mais tenait debout par elle-même. On peut donc supposer qu’elle était déposée dans un lieu précis, peut-être un contexte domestique, funéraire ou au sein d’un sanctuaire.  

La collection égyptienne du musée Rodin possède trois autres figurines de type Baubo conservées sous les numéros d’inventaire Co. 2714, Co. 2798 et Co. 6120.

Inscription

Anépigraphe.

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