Harpocrate

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE

ÉPOQUE TARDIVE OU ÉPOQUE PTOLÉMAÏQUE > XXVIe - XXXIe dynastie > 656 - 30 AVANT J.-C.

[voir chronologie]

BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)

H. : 5,9 cm ; L. : 1,5 cm ; P. : 1,4 cm ;

Co. 5614

Commentaire

Etat de conservation

L'oeuvre est en mauvais état de conservation. Le métal est très oxydé et patiné. Les détails anatomiques sont illisibles. Des concrétions de sédiment remplissent toutes les zones concaves du corps de l’enfant. 

Description

L’œuvre Co. 5614 représente un enfant assis, les jambes jointes et les bras le long du corps. Les pieds sont collés l’un à l’autre créant une masse ronde et uniforme. Il s’agit du dieu Harpocrate.

L’oxydation du bronze rend impossible la lecture des détails anatomiques. On peut cependant remarquer qu’une mèche de l’enfance se dégage du côté droit du crâne et que la tête est grosse. La taille et les hanches extrêmement marquées donnent à l'enfant un profil féminin. Notons également que toute la partie arrière de la figurine est plate et lisse. Le modelé du corps n’est donc pas mis en évidence. En effet, la séparation des jambes est inexistante, de même que la présence des muscles fessiers ou dorsaux. On explique cette absence de traitement de la partie arrière par le fait qu’il devait être placé sur les genoux de sa mère représentée généralement par la déesse Isis – bien qu’il puisse s’agir parfois de la déesse Mout (voir par exemple l’œuvre Cat. 1930 A 131 de la Carlsberg Glyptothek de Copenhague). Le ressaut de métal dans la nuque de l’enfant confirme cette hypothèse. C’est effectivement à cet endroit qu’Isis vient placer sa main pour permettre l’allaitement. C’est une attitude bien connue dans l’iconographie égyptienne qui ne laisse place à aucun doute possible quant à l’attitude et la fonction de cette statuette.

 

Harpocrate est une divinité bien connue dans l’art égyptien. Son nom égyptien Horpakhered, « Horus l’Enfant », a été transcrit par les grecs en Harpocrate. Sa première attestation date de la XXIe dynastie et sa première représentation de l’an 22 de Chéchanq III sur une stèle commémorant une donation pour le « flûtiste d’Harpocrate » (cf. FORGEAU Annie, Horus-Fils-d’Isis, La Jeunesse d’un dieu, BdE 150, Le Caire, 2010, p. 308). En revanche, la première apparition assurée d’Horus enfant allaité par Isis se trouve sur le cintre d’une stèle de donation provenant de Mendès datée de l’an 21 d’Ioupout II, sous la XXIIIe dynastie thébaine (Ibid., p. 79).

Harpocrate est, à l’époque de sa création, Khonsou-l’enfant, fils d’Amon et de Mout et fait partie de la triade divine thébaine. Il devient ensuite un dieu à part entière, c’est-à-dire Horus l’Enfant, fils d’une union posthume entre Osiris et Isis. Enfant royal, son front est ceint d’un uraeus. Le dieu Seth, son oncle, cherchant à le tuer afin d’acquérir le pouvoir dont il doit hériter de son père, il est élevé dans les marais de Chemnis, à l’abri de Seth. De par son histoire, il obtient une double symbolique. Il est à la fois le nouveau soleil du matin et l’héritier divin qui doit succéder à son père, ce qui fait de lui le représentant et la représentation idéale du roi.

L’image du roi allaité par une divinité est connue depuis l’Ancien Empire grâce entre autres aux Textes des Pyramides qui font mention d’Isis allaitant le roi (cf. LECLANT Jean, « Le rôle du lait et de l’allaitement d’après les Textes des Pyramides », JNES 10, 1951, p. 126). C’est par cet acte maternel que la déesse offre au souverain protection divine et le reconnaît comme étant de caractère divin. À l’origine, l’allaitement concerne exclusivement la survie du roi, avant d’être sous Montouhotep II (Moyen Empire, premier roi de la XIe dynastie), associé au couronnement pharaonique. En affirmant sa filiation au dieu Horus l'Enfant, il lui accorde la légitimité nécessaire pour régner. L’allaitement permet ainsi la continuité et de la perpétuité de sa souveraineté.

 

L’iconographie d’Harpocrate, dieu populaire à la fin des temps égyptiens, est simple et reconnaissable. Il s’agit d’un enfant nu, portant la mèche de l’enfance du côté droit du crâne et généralement l’index à la bouche. Il peut être debout, assis sur un trône, sur une fleur de lotus ou sur les genoux d’une déesse qui l’allaite, ce qui est le cas avec l’œuvre Co. 5614. De par son aspect juvénile caractéristique, nudité et attitude naïve du doigt sur la bouche, bonnet enserrant le crâne avec la mèche de l’enfance, proportions des parties génitales, et enfin rondeur des joues et du ventre, Harpocrate devint l’image de tous les dieux enfants d’un panthéon égyptien de plus en plus sophistiqué. Il est l’image de tous les fils des triades divines et est ainsi naturellement distingué comme protecteur des enfants. Les pouvoirs divins qui lui sont attribués évoluent rapidement. Sa mère Isis l’ayant guéri d’une piqûre de scorpion, il obtient ainsi des capacités guérisseuses et protectrices face aux animaux dangereux, ce que montrent les stèles dites d’« Horus sur les Crocodiles ». Sur ce type de stèle, Horus enfant foule des pieds un ou plusieurs crocodiles et maitrise de chaque main un animal considéré comme dangereux, citons en particulier les lions, les serpents ou les scorpions (voir la quarantaine d’exemplaires conservés au musée du Louvre dans GASSE Annie, Les stèles d’Horus sur les crocodiles : Musée du Louvre, Département des antiquités égyptiennes, catalogue, Paris, 2004). Par similitude avec l’iconographie de Nepri, dieu du grain et de la moisson qui peut être représenté nu avec un doigt à la bouche, Harpocrate devient également un dieu de la fertilité, lié au dieu Min et aux cultes agraires.

Les statuettes d’Isis Lactans, nombreuses aux époques hellénistique et romaine, ont donc pour fonction de protéger des dangers et d’assurer une certaine continuité et prospérité au commanditaire. 

 

De nombreux musées du monde conservent dans leurs collections des œuvres d’Isis Lactans qui présentent toutes une iconographie similaire. 

Œuvres associées

Les collections du Musée Rodin conservent plusieurs exemples d’Isis allaitant un enfant sur ses genoux en bronze : Co. 209, Co. 210, Co. 1487, Co. 2370, Co. 2409, Co. 2429, Co. 2433 et Co. 5787. Tous les enfants sur ces statuettes ont la même attitude, c’est-à-dire les bras le long du corps et les jambes jointes. De plus, Isis place toujours sa main sur l’arrière du crâne de l’enfant qu’elle allaite.

Inscription

Anépigraphe.

Historique

Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.

Donation à l’État français en 1916.

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