Fragment de peinture murale

Le roi Amenhotep Ier et le prince Âhmès-Sapaïr

Égypte > Dra Abou El-Naga > Tombe de Nakht (Tombe thébaine 161)

XVIIIe dynastie

[VOIR CHRONOLOGIE]

H. 30,5 CM : L. 41,3 CM ; P. 9,2 CM

Peinture sur enduit et mouna

 

Co. 3431

Commentaire

Etat de conservation

L’œuvre est en bon état de conservation, bien que très fragmentaire. L’enduit est néanmoins écaillé en plusieurs endroits.

Description

Cette peinture murale provient de la tombe d’un dénommé Nakht. Il existe de nombreux personnages thébains portant ce nom au Nouvel Empire, et si le plus connu du grand public est celui qui possède la Tombe Thébaine (TT) 52, c’est ici son contemporain très légèrement postérieur, le jardinier du domaine d’Amon titulaire de la TT 161, qui nous intéresse. La tombe, découverte en 1826, a été relevé par Robert Hay (cf. Manniche, 1986, p. 67-78).

 

Bien que le poste de « jardinier » n’apparaisse peut-être pas très honorifique de premier abord, Nakht est en fait en charge de l’approvisionnement des temples de Karnak et de Thèbes en offrandes florales – et, dans une moindre mesure, alimentaires – sous le règne d’Amenhotep III. Cette fonction cruciale était déjà assurée par le passé par son père et son beau-père : il faisait ainsi partie d’une famille importante de dignitaires du culte d’Amon.

 

La scène du fragment Co. 3431 représente le roi Amenhotep Ier et, derrière lui, le prince Âhmès-Sapaïr. Amenhotep Ier, le second roide la XVIIIe dynastie, fils du pharaon Âhmosis et de la reine Âhmès-Nefertari est représenté portant le diadème seshed, surmonté d’un uraeus et complété d’une couronne hemhem dont seule subsiste l’une des cornes de bélier. Le roi tient dans ses mains les insignes royaux : la crosse et le fouet, et est richement paré d’un large pectoral et d’un bracelet à deux rangs. Ce roi se voit divinisé à la suite de son règne, ainsi que sa mère Âhmès-Nefertari (à ne pas confondre avec Nefertari, épouse de Ramsès II) et parfois sa grand-mère Âhhotep. Ils deviennent alors les « saints patrons » du village des artisans de la tombe royale, situé à Deir el-Medineh et fondé au cours de ce règne. La couleur noire des chairs du roi, comme celle dont on affuble fréquemment sa mère Âhmès-Nefertari dans les représentations où elle est divinisée, ne doit pas être lue littéralement, comme une figuration de sa carnation réelle (car aucun de ces personnages n’a d’origines nubiennes ou africaines avérées, et parce qu’ils ne sont pas représentés ainsi de leur vivant), mais de façon symbolique, le noir signifiant la renaissance et la fertilité. Derrière lui se tient le prince Âhmès-Sapaïr, fils de Seqenenrê Taâ, roi de la XVIIe dynastie impliqué dans la guerre de réunification à la fin de la Deuxième Période Intermédiaire, et de la reine Âhhotep. Dépourvu des attributs royaux, n’ayant jamais régné, il est paré d’une perruque courte, d’un large pectoral, d’un pagne à ceinture et d’un bracelet à deux rangs, et tient dans sa main gauche un linge plié. Une partie de l’inscription qui mentionnait son nom apparaît encore au-dessus de lui. Ce jeune prince nommé Âhmès est surnommé, au début de la XVIIIe dynastie, « Sa-pa-ir », un terme que Christophe Barbotin propose de traduire par « le fils qui agit » ou « le fils de celui qui agit », cette seconde traduction faisant alors référence à son père, mort sur le champ de bataille comme semble l’attester sa momie. Âhmès-Sapaïr bénéficie lui aussi d’un culte florissant jusqu’à la XXIe dynastie, aux côtés des autres membres divinisés de sa famille.

 

La scène originelle présentait les deux membres de la famille royale recevant des offrandes florales de la part de Nakht (cf. Manniche, 1986, p. 73, fig. 8). Il ne s’agit peut-être pas directement des personnages eux-mêmes mais de statues de culte à leur effigie. C’est, en effet, dans la région thébaine que le culte des membres de la famille royale des XVIIe et XVIIIe dynasties était le plus diffusé : il n’y a donc rien d’étonnant à les retrouver dans la tombe d’un membre du clergé thébain d’Amon.

 

Ce processus, assez nouveau, de divinisation d’anciens rois pour servir d’intermédiaires et intercesseurs auprès les dieux s’inscrit dans le mouvement général au Nouvel Empire d’essor d’une « piété individuelle » d’un nouveau genre (Baines & Frood 2008). Jusque-là cantonnée à l’usage d’objets de petites dimensions comme les amulettes et peut-être à des pratiques n’ayant pas laissé de traces, elle s’exprime progressivement à partir du Nouvel Empire par un nouvel usage iconographique : la représentation directe des particuliers en train de rendre hommage à des divinités dans les tombes, ou à des membres divinisés de la famille royale, alors que ce privilège (en tout cas dans les images) était jusque-là réservé au seul roi régnant.

Inscription

Au-dessus du prince Âhmès-Sapaïr, on distingue sur une colonne une partie de son nom pȝ-ỉr. Les noms des autres personnages était initialement écrits en colonne au-dessus de chacun d’eux.

Historique

Acheté par Rodin à l'antiquaire Oxan Aslanian le 24 septembre 1913.

Donation Rodin à l'Etat français en 1916.

Commentaire historique

Le fragment fut acheté par Rodin à Paris, auprès de l’antiquaire Oxant Aslanian, le 24 septembre 1913, dans un lot de « quatre fresques égyptiennes de la XVIIIeme dynastie » parmi seize antiquités en provenance d’Égypte, sans indication précise sur le site de découverte, d’une valeur totale de 1200 francs. Cette date d’acquisition est corroborée par l’absence de description dans l’inventaire de Charles Boreux, achevé à cette date.

En 1913, l’intérêt de Rodin pour la peinture antique et la « fresque » en particulier, était des plus vifs. Dès les années 1890-1900, le sculpteur s’intéressa aux recherches de ses contemporains sur les techniques et les matériaux anciens, « antiques » ou exotiques comme le grès et à la pâte de verre. Il fréquenta Puvis de Chavannnes, puis Maurice Denis et les Nabis qui oeuvrèrent à un certain renouveau de la peinture murale. En 1907, Henri Dujardin-Beaumetz, sous-sécrétaire d’État des Beaux-Arts, après avoir visité une exposition de ses dessins à la galerie Bernheim Jeune, chargea le sculpteur de réaliser une fresque pour décorer une salle du séminaire de Saint-Sulpice dans le nouveau musée des artistes vivants, à Paris. La commande officielle ne lui fut passée qu’à la fin de l’année 1911 et resta inachevée. En 1912 et 1913, il étudia ainsi les ressources des techniques de peinture anciennes, a fresco ou a tempera, et fit traduire par les peintres C. H. Charlier, Jeanne Bardey ou Marie Cazin quelques-uns de ses dessins, sur les danseuses cambodgiennes, en particulier, en vue du grand projet. Les exemples conservés montrent que la technique de la fresque au sens strict du terme ne fut pas la seule expérimentée et que l’on peut élargir son intérêt à la peinture murale de manière générale : « La fresque est un travail plus proche de la sculpture que de la peinture ; ce serait l’intermédiaire entre le bas-relief et le tableau, et, la plupart du temps, on la pourrait remplacer par celui-là. Il s’agit surtout de dessiner, de donner des lignes sculpturales, des formes simples, d’où le relief se dégage. Les couleurs sont non seulement unies et peu variées, mais baissées d’un ton ; elles doivent tendre vers la grisaille. Volontiers, je rapprocherais cet art, en raison de son harmonie grandiose, des chœurs de la tragédie antique, par où s’exprimait la voix du peuple, et qui formait à l’action tragique comme un noble décor » Anonyme, « Nouvelles », La construction Moderne, 26 novembre 1911.

Ce goût pour la peinture murale, dans son musée imaginaire, comprend, dans une même filiation, la peinture de l’antiquité, du Moyen-Age et de la Renaissance. La peinture en aplat rappelle sa passion pour les estampes japonaises dont il fut un grand collectionneur. L’arrivée des quatre fragments de peintures égyptiennes, en 1913, s’inscrivait pleinement dans le fil des recherches en cours. Son choix se porta sur des représentations du corps humain, selon ses vœux, vu à la fois de profil et de face, sans perspective, au dessin simplifié. Il fut aussi sensible aux bouleversements des canons de proportions et les échelles différentes utilisées pour figurer les personnages. Les quelques couleurs utilisées sont mates, posées en  aplats et soulignées par le tracé d’un contour.

En août 1915, le sculpteur fit monter trois des quatre fragments par l’ébéniste japonais Kichizo Inagaki, dans des coffrets en bois avec vitre à glissière pour les protéger et les exposer. Ce soin particulier signe l’intérêt qu’il leur porte et désir de les présenter parmi les pièces d’exception à l’hôtel Biron, dans une préfiguration du musée Rodin.

 

Archives

Facture du 24 septembre 1913, archives musée Rodin, Paris ; chèque n° 92258, Crédit algérien, archives musée Rodin, Paris

 

 

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