Cet objet composite est constitué de plusieurs éléments de différentes périodes, assemblés par un réseau de perles en terre cuite émaillée. On y distingue notamment un pilier djed en bois, un scarabée en terre cuite polychromée, un ouchebti émaillé en faïence bleu et un pendentif miniature évoquant l’effigie du dieu Bès. S’y ajoutent des éléments moins caractéristiques à l’Égypte antique, à savoir un objet circulaire en os, une perle biconique en faïence blanc-crème et deux petites perles annulaires en faïence (bleu-vert très altéré et blanc-crème)
La
trame de l’objet est réalisée au moyen de perles, d’une tige métallique contemporaine et de liens en fibres végétales moderne (lin). Environ 110 perles tubulaires de différentes longueurs, en faïence égyptienne bleu foncé et d’aspect mat, ont été employées pour ce montage. Mesurant entre 1,5 et 2 cm de longueur, ces perles sont enfilées sur un fil doublé. Une tige transversale métallique est positionnée transversalement et constitue l’un des bords d’un espace rectangulaire central, matérialisé par un faisceau de perles. L’objet adopte donc l’apparence d’un pseudo-collier, dont le décor est disposé en deux compositions, développées de part et d’autre de l’espace central.
Une première partie est composée d’une grande
amulette en bois mesurant 10,2 cm sur 5 cm, cassée à son extrémité inférieure. Il s’agit d’un pilier
djed, caractérisé par un fût ponctué de 4 barres horizontales. La campagne d’analyse des bois menée par V. Asensi-Amorós a révélé que l’objet a été réalisé dans un morceau de figuier sycomore (
Ficus sycomorus L.), espèce indigène à l’Égypte (ASENSI-AMORÓS, Rapport de 2019). Un réseau de perles tubulaires, soigneusement liées, reprend sur ce bois taillé en forme de pilier
djed le motif des quatre barres sommitales qui lui sont caractéristiques. Percé intentionnellement dans la partie sommitale, un orifice permet de faire passer un lien et de raccorder le pilier
djed à la
trame de perles qui, en formant un double arc de cercle, couronne le tout.
L’objet est suspendu au centre de la barre métallique, sur laquelle est nouée une perle. Cette grosse perle biconique (3 cm de diamètre) a été réalisée en faïence égyptienne d’aspect granuleux. La pâte est siliceuse et la glaçure très altérée. Un réseau de fils, assemblant des perles tubulaires, a été passé par l’orifice de la perle.
L’assemblage des objets se révèle tout aussi complexe de l’autre côté du rectangle central. Dans sa partie supérieure, un scarabée est attaché au centre. Il a été réalisé en terre cuite polychrome, et, malgré un état de conservation médiocre, des traces de pigments – jaune, rouge et noir – sont toujours identifiables. Mesurant 4,5 cm sur 3,3 cm, il est flanqué de part et d’autre de deux perles de type annulaire, réalisées en faïence égyptienne d’aspect granuleux. La pâte est siliceuse et la glaçure de chaque anneau (bleu-vert et blanc-crème) très altérée. La perle blanc-crème présente un éclat conséquent, masqué en partie par une ligature.
Un enchevêtrement de perles, formant comme pour l’autre partie du collier un arc de cercle, sépare ce premier ensemble d’objets du pendentif en tant que tel. La
trame, composée de perles tubulaires, sert à maintenir un anneau en os. Cet objet, de 6,3 cm de diamètre, serait peut-être à voir comme un bracelet d’enfant. L’anneau est incomplet, et c’est dans le segment manquant qu’a été attaché un
ouchebti fragmentaire. Réalisé en faïence égyptienne (pâte siliceuse et glaçure turquoise), l’
ouchebti est brisé au niveau de la taille. Il mesure actuellement 6,5 cm de longueur (sa largeur maximale étant de 5 cm). Coiffé d’une longue perruque tripartite, le serviteur funéraire ramène ses bras sur son torse, mais ne les croise pas. Les outils agricoles qu’il tient généralement dans ses mains ne sont pas visibles. Au revers, complètement aplati, une inscription hiératique est tracée en noir, mentionnant le nom d’Ounefnéfer, un père divin.
Sur son cou, une petite figurine noire de 1,5 cm de hauteur, de type
amulette (en pâte de verre ?), est bien visible. Elle est enfilée entre deux perles tubulaires en faïence bleue, ces perles étant nettement plus petites que les autres. Placée à la manière d’un pendentif protecteur, elle correspondrait peut-être à une effigie miniature du dieu Bès.
L’assemblage Co. 6300 est composé de plusieurs éléments antiques pour lesquels des significations spécifiques peuvent être proposées. Les
amulettes sont des objets couramment découverts sur les sites archéologiques égyptiens, essentiellement dans les tombes mais aussi en contexte d’habitat. Cette fréquence s’explique par leurs usages multiples, lors de rites liés à la survie du défunt dans l’au-delà ou encore au quotidien pour protéger ou guérir celui qui les porte. Les
amulettes pouvaient être portées en collier ou bracelets, combinés avec des perles et des pendentifs ornementaux (HERRMANN, STAUBLI 2011, p. 24-25). Des éléments organiques aussi fragiles que des fils sont souvent les premiers à se décomposer, mais de rares exemplaires ont conservé leur montage d’origine sur fibres végétales nouées (par exemple, le Metropolitan Museum Inv. N°
MMA 25.3.191b). Il existe également d’autres montages, composés de fibres végétales beaucoup plus grossières ; ils ne semblent pas avoir été réalisés pour être portés (voir au British Museum l’Inv. N°
EA 46595).
Les premières
amulettes en forme de scarabée sont attestées à partir de l’Ancien Empire. Employées comme protection, ces talismans sont étroitement liés au dieu solaire Rê. Symbole du renouvellement et de l’éternel retour, ils possèdent également un rôle apotropaïque. Ils doivent être distingués d’autres scarabées, sur lesquels le nom et le titre d’un fonctionnaire sont indiqués. On différencie également ces simples
amulettes, sans inscription, des scarabées de cœur pour lesquels des « chapitres de cœurs » extraits du
Livre des morts sont inscrits. Les scarabées ne sont pas uniquement présents en Égypte, puisque l’on en retrouve dans toute la Méditerranée, en Asie occidentale, en Afrique du Nord, en Nubie et en mer Noire (GLÖCKNER 2017, p. 13). Leur popularité est telle que, dans certaines contrées où les importations égyptiennes ne suffisent plus, une production locale est organisée.
Les
ouchebti sont des serviteurs funéraires, destinés à réaliser des travaux dans les champs de l’au-delà à la place du défunt. Les colliers comprenant un
ouchebti sont attestés en Égypte ancienne. Au Petrie Museum, par exemple, ils sont bien moins complexes que l’assemblage du musée Rodin (Inv. N° UC42909 ; UC51963 ; UC71650 et UC74308, datés de la Troisième Période intermédiaire ou de la Basse Époque). Il s’agit essentiellement de colliers simples à perles tubulaires bleues en faïence égyptienne, assortis d’une ou deux
amulettes. De part leur petite taille, les
ouchebti utilisés dans ces compositions semblent avoir été fabriqués pour cet usage car certains ont un orifice ménagé pour la suspension (voir, en particulier, l’Inv. N° UC71650). Mais dans le cas du pseudo-collier Co. 6300, il ne s’agit pas d’une
amulette mais d’un réel serviteur funéraire. Un ouchebti en tout point semblable est actuellement conservé au Manchester Museum (Inv. N° MM 1977.1147), au nom d’un père divin d’Amon nommé Ouennéfer. Cet objet, en faïence égyptienne bleu-vert, est daté de la XXII
e dynastie et provient de la tombe 15G du cimetière D d’Abydos (JANES 2012, p. 198, n°107). Par cette comparaison, il semble possible de situer la fabrication de l’
ouchebti utilisé dans la composition de l’assemblage Co. 6300 à la XXII
e dynastie.
Bès n’appartient pas au panthéon des dieux officiels de l’État égyptien, adorés dans des temples, mais plutôt à la croyance populaire bien qu’il apparaisse également dans des rituels royaux. En Égypte, il est attesté depuis l’Ancien Empire et plus largement dans toute la région méditerranéenne à partir de l’âge du Bronze récent et durant tout l’âge du Fer (HERRMANN, STAUBLI 2011, p. 69). Divinité protectrice, il apparaît dans plusieurs contextes :
amulettes, objets magiques ou encore sur des meubles de la chambre à coucher. Nain représenté de face, il exerce un pouvoir apotropaïque, une défense contre les dangers et les puissances hostiles (HERMANN 1994, p. 316).
L’assemblage Co. 6300 semble, à notre connaissance, unique en son genre, à la fois du fait de sa composition générale, mais aussi par la nature des objets réunis.
S’il est clair que le montage est moderne, réalisé en réunissant différents éléments antiques sur un réseau de perles tubulaires, faut-il y voir un talisman local contemporain ou encore un aegyptiaca européen, destiné à des réunions de spiritisme ?
il est difficile de trancher hors parallèle, ni connaissance de la provenance ou du circuit d’achat de l’objet. Quoi qu’il en soit, il semble tout à fait surprenant de trouver un tel montage dans la collection d’objets égyptiens réunie par Rodin.