Baubo

Égypte > Provenance inconnue

Époque Hellénistique et romaine

[VOIR CHRONOLOGIE]

Terre cuite

H. 7,9 CM ; L. 4,5 CM ; P. 2,1 CM

Co. 6120

Comment

State of preservation

L'œuvre est en mauvais état de conservation. La valve du revers est manquante. La valve avers est cassée au niveau du bras et de la jambe droits. 

Description

Il s’agit d’une figurine féminine nue assise sur les fesses. Numéro d’inventaire inscrit à l’encre noire sur une pellicule isolante au revers.

La tête est ovale. Le front est haut, les sourcils finement incisés. Les yeux sont délicatement incisés, les paupières supérieures et inférieures sont visibles. Les nez est droit, le bout est légèrement épaté. La bouche est charnue ainsi que les joues. Le menton est saillant. La chevelure est séparée en une raie au sommet du crâne. Les deux parties sont divisées en une succession de quatre mèches descendant de chaque côté. Les légères incisions et piquetages sur les mèches donnent l’impression d’une chevelure bouclée. La tête est coiffée d’une couronne bourrelet ornée de quatre rubans verticaux ou diagonaux. Les oreilles ne sont pas directement visibles mais on observe deux pendants d’oreille en forme de boucle atteignant les épaules. Le cou est quasi invisible, donnant l’impression que le menton touche volontairement le haut du buste. En haut des seins est incisée une ligne joignant les deux épaules et formant un v sous le menton. Les seins sont imposants mais flasques. Sous les seins se trouvent deux incisions parallèles représentant des bourrelets. Le ventre est volumineux et saillant pourvu d’un nombril profond et large. Une légère cassure verticale entre le pubis et le nombril est visible. Entre le bas-ventre et le nombril apparaissent deux lignes horizontales parallèles formant une ceinture. Le pubis est triangulaire et orné d’une incision partant du haut du pubis jusqu’en bas et figurant le clitoris et les lèvres. La main droite repose sur la ceinture et le haut du pubis. La cuisse gauche est épaisse et repliée contre le ventre, présentant ainsi la jambe en position horizontale. Le pied gauche est manquant. On observe une incision entre le genou et la cheville représentant peut-être un bracelet. Le bras gauche pend le long du corps, la zone entre le bras et le corps étant comblée. Un bracelet à double rang est incisé entre l’épaule et le coude. Un second bracelet à rang unique est incisé au revers au niveau du poignet. Le bras gauche passe derrière le mollet gauche, laissant la main le saisir par en-dessous, le pouce apparaissant au revers et les doigts sous la jambe.   Moulée dans un moule bivalve (trace du percement réalisé au sommet de la tête avant séchage de la terre et après réunion de deux partis, avers et revers).

Il ne reste de la valve revers que l’arrière du bras gauche. La ligne de suture entre les deux valves est bien visible sur le profil du bras gauche. Il est possible que l’extrémité du pied gauche ait été moulée à part ainsi que la tête, probablement issue d’un autre moule bivalve. On remarque une fine fente sur la face qui correspond sans doute à la ligne d’assemblage entre la tête et le corps. Un orifice est présent sur le sommet du crâne, probablement réalisé avant la cuisson. Il est possible que cette opération ait été effectuée afin de créer un évent supplémentaire ou bien pour fixer ultérieurement un autre attribut.   On observe plusieurs traces d’outils, notamment au niveau de la couronne ainsi que de nombreuses traces de doigts au revers. Des traces de pigments noirs sont également présentes au niveau de l’œil gauche et de la main droite ainsi que de pigments ocre rouge dans les cheveux. D’autres traces de pigments ocre rose sont observées à plusieurs endroits de la figurine.

 

La figurine Co. 6120 appartient au type de figurine féminine « baubo ». Il s’agit de figurines qui font leur à la période ptolémaïque et qui perdurent jusque pendant la période romaine. L’iconographie de ces figurines est grecque ou gréco-romaine. Les figurines de ce type retrouvées en Egypte proviennent en très grande majorité de Basse Egypte, principalement d’Alexandrie et de Naucratis ainsi que du Fayoum. Leurs contextes de découvertes sont variés, allant de casernes aux temples en passant par des ateliers. La majorité des figurines de type Baubo, réalisées au cours de la période gréco-romaine, à l’instar de la figurine Co.6120, celles fabriquées en Egypte sont réalisés en terre cuite moulée. Mais des exemplaires de la même époque existent également en faïence égyptienne, à l’image de la figurine conservée au Metropolitan Museum of Arts sous le numéro d’inventaire 15.43.329 et en verre, à l’image des figurines conservées au British Museum sous le numéro d’inventaire 18,710612.22  retrouvées en Egypte mais de fabrication phénicienne. Ces figurines sont toutes représentées nues, toutes offrants leur sexe, jambes écartées, la position exacte des mains et des bras variant d’une figurine à l’autre. Certaines sont dépourvues de tête, d’autres peuvent chevaucher un sanglier, d’autres encore jouent de la harpe et ce type inclue également les figurines où la tête est placée au-dessus de la vulve.

 

Le nom de Baubo fait référence à la version orphique du mythe de Déméter rapportée par Clément d’Alexandrie. L’hymne raconte que la déesse, désespérée par l’enlèvement de sa fille, Perséphone, par Hadès, trouve refuge à Eleusis où elle est recueillie par Baubo. Celle-ci l’invite à boire, mais essuie un refus de la part de Déméter. Elle décide alors de soulever ses jupes, lui dévoilant ainsi ses parties génitales, faisant rire la déesse qui accepte la boisson. Ce mythe fait écho à l’hymne homérique où Iambé remplaçant Baubo  parvient à dérider la déesse en lui disant des plaisanteries grossières. La découverte de figurines représentant chacune une femme dont le visage est posé juste au-dessus de la vulve datant de la fin du IVe siècle av. J.-C. dans les vestiges du temple de Déméter à Priène incita les archéologues à donner leur donner le nom de Baubo, bien que ces figurines n’immortalisent pas le geste de dévoiler ostensiblement ses parties génitales tel que rapporté dans l’hymne orphique de Déméter. Les figurines découvertes en Egypte reçurent également naturellement le nom de Baubo, leur posture rappelant plus clairement celle de Baubo dans le mythe orphique.

 

Avant d’être des représentations de corps féminins, ces figurines sont avant un geste, celui de l’anasyrma, terme grec désignant le fait de soulever ses jupes dans le but d’exposer sa vulve. Un parallèle égyptien existe selon lequel la déesse Hathor aurait également eu recours à l’anasyrma afin de sortir le dieu Rê de sa bouderie, après qu’il ait été offensé par le dieu Baba. Différents rituels égyptiens incluent ce geste à l’image des rituels hathoriques incluant des danses interprétées par les khenerout, où celles-ci exposaient leur vulve au moment culminant du rituel, ou encore lors du festival de Bubastis, durant lequel les femmes y participant dévoilaient leurs parties génitales, selon Hérodote et Diodore de Sicile. On peut également mentionner le culte du taureau Apis. En effet, durant les quarante jours auprès le choix du nouveau taureau sacré, les officiantes lui exhibaient leur vulve afin d’assurer la régénération posthume du précédent taureau décédé en le corps du nouveau choisi, assurant ainsi la transmission des attributs divins d’un animal à un autre. Ainsi, si l’anasyrma possède de toute évidence un caractère bénéfique et régénérateur en Egypte, il est à noter que les auteurs s’accordent à dire que le même geste effectué dans un contexte grec et diriger vers une personnalité masculine perd sa fonction consolatrice comme dans la légende de Baubo, et devient au contraire un geste de défiance et de honte.

 

Faut-il voir dans ces statuettes des représentations de Baubo ? La réponse n’est pas si aisée. Certains éléments peuvent effectivement renvoyer au mythe de Déméter et à la gestuelle de Baubo. Il y a tout d’abord l’exhibition de la vulve ainsi que le caractère grossier et grotesque des figurines qui fait écho à un moment précis des Mystères d’Eleusis durant lequel les initiés devaient adopter un comportement et un langage grossier. La présence occasionnelle du sanglier sous la figurine féminine pourrait éventuellement évoquer certains aspects des Mystères d’Eleusis. L’étymologie-même du nom de Baubo fait débat. Sa racine forme des termes se rapportant à divers domaines, notamment à celui du sommeil mais également au mot Baubo, qui désigne un godemiché. Cependant, on peut aussi rapprocher le nom de Baubo de celui de la déesse sumérienne Bau, vénérée également chez les Phéniciens parfois sous le nom de Baev et qui est une divinité des eaux primordiales. Le nom de Baubo est loin de faire l’unanimité parmi les chercheurs, certains proposant plutôt d’y voir une représentation d’Omphale, reine de Lydie connue pour avoir soumis Héraclès à sa volonté avant de l’épouser. En effet, des amulettes à l’effigie d’Omphale étaient répandues dans le monde romain et réputées protéger les futurs mères et leur bébé. Quoi qu’il en soit, l’intérêt de ces figurines réside vraisemblablement moins dans la figure mythique qu’elles peuvent représenter que dans le geste qu’elles immortalisent.

 

Si la vulgarité apparente de ces figurines peut faire immédiatement penser à des objets à caractère purement et uniquement érotique, il n’est pas certain qu’il faille les limiter à ce seul aspect. En effet, plusieurs représentations féminines offrant ostensiblement leur sexe à la vue de tous, écartant parfois même ses lèvres à pleines mains existent dans différentes cultures et à différentes époques. On peut citer, à titre d’exemple, la déesse indienne de la ferilité Lajja Gauri (une de ses représentations est conservée au Metropolitan Museum of Arts sous le numéro d’inventaire 2000.284.13) dont les attributs divins sont précisément symbolisés par son exhibition sexuelle. Les figurines de type Baubo découvertes en Egypte sont à remettre dans le contexte de la longue et riche évolution des figurines féminines nues d’Egypte. Dès le Moyen Empire, un certain nombre de types de figurines féminines font leur apparition en Egypte. Représentées nues, ces femmes n’ont ni la posture éhontée des Baubos ni leur apparence grosse. Elles sont au contraire longilignes et dépourvue de toute vulgarité, en dépit de leur nudité. Une autre grande catégorie est connue en Egypte, c’est celle des figurines féminines nues accompagnées d’un enfant. Dans les deux cas et peur importe leurs caractéristiques iconographiques, elles sont liées à la fertilité et possèdent des fonctions protectrices et régénératrices aussi bien pour les vivants que pour les morts. A la Basse Epoque apparaît une nouvelle catégorie de figurines, préparant l’apparition des Baubos. Il s’agit d’un type de figurine représentant la vulve, jambes écartées, prémisses des figurines de l’époque ptolémaïque. Un exemplaire est conservé au British Museum sous le numéro d’inventaire 1965,0930,954. Plusieurs auteurs s’accordent à dire qu’il est possible que les Baubos ne représentent pas des femmes naturellement corpulentes mais peut-être plutôt des femmes enceintes. D’ailleurs, selon Clément d’Alexandrie, au moment de l’exécution par Baubo de son anasyrma, il semblerait qu’elle ait eu quelque chose à l’intérieur de son vagin. Il peut s’agir d’un objet phallique ou bien d’un enfant. La possibilité d’une grossesse expliquerait la corpulence des figurines. Les Baubos sont des petits objets pour beaucoup  pourvus d’un orifice au sommet du crâne permettant de les suspendre et peut-être de les porter sur soi comme des amulettes. Il semblerait donc qu’on ait affaire à des figurines garantissant la fertilité, la protection et la régénération à l’image des précédentes figurines égyptiennes connues jusqu’à lors. De telles amulettes font écho aux photographies de prostituées montrant leur vulve retrouvées dans les poches des soldats japonais tués lors de la Seconde Guerre mondiale. Dans la culture japonaise, la vulve possède un pouvoir magique certain et de telles représentations assuraient aux soldats protection et régénération dans l’au-delà.

 

Les figurines de type Baubo sont donc à comprendre à la fois comme une étape fondamentale de la longue évolution des figurines féminines égyptiennes ainsi que comme une tradition hybride, mêlant des influences grecques évidentes, à des traditions égyptiennes et sans doute aussi des influences orientales, aux fonctions apotropaïques.

La figurine Co. 6120 s’inscrit dans cette tradition de la piété personnelle. Elle possède en outre une coiffure, de style grec, que l’on retrouve sur un très grand nombre de figurines de ce type. (voir BAIEY, 2008, pl. 23, n°3131, n°3132, pl.24, n°3134,  n°3136 ; n°3137, n°3138 et pl. 25 n°3140).  L’orifice que l’on observe au sommet du crâne peut laisser penser qu’un autre élément devait s’y ficher. On peut alors penser à un pot ou bien à un bouton de lotus dont beaucoup de Baubos sont pourvues. Le pot et le bouton de lotus sont des traits iconographiques que les figurines Baubos ont en commun avec les figurines d’Harpocrates. Un exemple est conservé au Metropolitan Museum of Art sous le numéro 17.194.420. Cet élément ne fait que renforcer et confirmer la vocation de la figurine à apporter prospérité et fertilité à son détenteur. L’orifice pourrait aussi indiquer la présence initiale d’une perforation verticale traversant la figurine, lui permettant d’être suspendue. De plus, les pigments utilisés rappellent les teintes que l’on retrouve sur les figurines féminines nues égyptiennes des périodes antérieures, inscrivant de fait la figurine Co. 6120 dans une tradition iconographique aux origines égyptiennes évidentes.

La collection égyptienne du musée Rodin possède trois autres figurines de type Baubo conservées sous les numéros d’inventaire Co. 2714, Co. 2798 et Co. 6091.

Inscription

Anépigraphe.

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