Scène d’offrandes funéraires

Égypte > provenance inconnue

Datation > Moyen Empire > Fin XIIe - début XIIIe dynasties

[VOIR CHRONOLOGIE]

H. 37,8 cm ; L. 35,5 cm ; Ép. 5 cm

Calcaire

Co. 953

Comment

State of preservation

L’œuvre est en assez bon état de conservation. Ce fragment de relief en calcaire adopte une forme quasiment carrée ; aucun chant n’est original. Les chants supérieur, inférieur et gauche sont plans et présentent des traces de ciseau et de râpe. Les traces d'outils ont été coupées pas le sciage du dos, ce qui prouve que le chant a été rabattu avant le sciage. Les traces d'outils ne sont pas incompatibles avec un travail antique.. Le chant droit est une cassure et ne semble pas présenter de trace d’outil. Au revers, de nombreuses traces de sciage témoignent elles aussi de la dépose du relief. Le revers présente par ailleurs une cassure dans l’épaisseur due au sciage.

L’épiderme de la pierre est émoussé, griffé et épaufré. L’angle inférieur gauche montre une large cassure dans l’épaisseur. L’angle supérieur droit a été cassé puis recollé.

On constate des traces de terre sur la face et les chants, à l’exception de l’angle supérieur droit, qui a été nettoyé de façon drastique et de la cassure de l’angle inférieur gauche.

 

Description

Ce fragment est orné d'une stèle d’une scène représentant un homme apportant des offrandes – le bord inférieur correspond d’ailleurs à la ligne de sol – au-dessus de laquelle se développent plusieurs lignes d’inscriptions hiéroglyphiques.

L’homme est debout, tourné vers la gauche, dans l’attitude de la marche, jambe gauche en avant vu en mirroir pour des raisons d'aspective. Il présente devant lui des offrandes : une fleur de lotus épanouie à longue tige de la main droite, un canard pilet de la main gauche, qu’il tient par les deux ailes et dont les plumes sont détaillées par des incisions. Il est coiffé d’une perruque courte et bouclée qui couvre l'oreille. L’œil est allongé et surmonté d’une ligne incisée qui indique la paupière. Il porte un large collier-ousekh, à trois rangs de perles incisés. Il est vêtu d’un pagne court, le pan droit croisé par-dessus le gauche, maintenu par une ceinture dont la boucle est visible sur le devant.

 

Devant et derrière ce personnage, des offrandes sont entassées sur des nattes. À gauche de la scène, on peut voir une laitue dont les feuilles sont détaillées par des incisions, un morceau de viande, deux pains coniques ; d’autres aliments étaient figurés plus à gauche et sont aujourd'hui manquants. En-dessous, on distingue encore la partie supérieure d’un récipient. À droite de la scène, on observe une oie troussée, des côtes de bœuf, un pain conique et un pain ovale. Une jarre de vin, représentées « sous » ces nattes chargées de victuailles selon le principe de l'aspective, complètent les aliments de ce repas funéraire.

 

Dans la partie gauche de la scène, derrière l’amoncellement d’offrandes le plus important, le défunt était peut-être représenté assis, en taille héroïque, tourné vers la droite comme en témoigne les hiéroglyphes qui s'y rapportent, en direction de l’homme qui lui apporte des offrandes. Il y avait peut-être un troisième personnage dans la partie droite de la scène, derrière le second amoncellement d’offrandes, à une échelle identique ou moins importante que le défunt et tourné dans le même sens que le porteur d’offrandes, son frère.

 

À partir du Moyen Empire, dans l'espace de culte funéraire, les représentations du défunt attablé devant des victuailles (dites « scènes de repas funéraire ») témoignent des nombreuses offrandes alimentaires dont le mort pouvait bénéficier. L’offrande, volontairement représentée comme abondante, est éternelle car figée à jamais dans la pierre ; idéalisée, elle ne reflète pas nécessairement les aliments présentés au défunt dans la pratique réelle. Dans les formules et les représentations, le pain et la bière constituent l’offrande de base, composante essentielle de l’alimentation et de l’économie des Égyptiens. On figure également des pièces de viande – au premier rang desquelles la patte antérieure de bœuf, très chargée symboliquement –, mais aussi des légumes, des gâteaux, etc.

 

Le choix d’une simple natte pour présenter les offrandes reflète également une pratique réelle puisque la natte est le premier support des offrandes faites aux défunts par leurs proches dans la tradition égyptienne. Le signe hiéroglyphique signifiant « offrande », hetep, est d’ailleurs composé d’un pain conique sur une natte enroulée. Cependant, dans la pratique des rites, la natte coexiste dès l'origine avec d’autres types de support, notamment des tables d’offrandes et des bassins en pierre. Sur les représentations, elle est utilisée conjointement avec le guéridon (dont la forme du pied varie légèrement selon les époques), qui finit par la supplanter au début de la XVIIIe dynastie (JÉQUIER 1919, p. 238-239).

 

La présence de la laitue n’est pas anodine : c’est une offrande de choix que l’on trouve souvent représentée sur les murs des monuments funéraires (royaux comme privés) dès l’Ancien Empire. Elle joue un rôle dans le mythe et le culte du dieu Min puisqu’elle est réputée renforcer la puissance procréatrice du dieu de la fertilité et peut donc être liée à l’idée de renaissance à laquelle aspire chaque défunt. Cette charge symbolique particulière est certainement due au rapprochement entre le latex blanc s’écoulant des tiges lorsqu’elles sont brisées et la semence du dieu ithyphallique. Si elle n’apparaît pas nommément dans les listes d’offrandes, la laitue est sans doute comprise dans la catégorie des « jeunes verdures » ou « produits de l’année » qui y sont mentionnés. Au Moyen Empire, la laitue est souvent représentée sur le guéridon d’offrandes placé devant le défunt, avec des pièces de viande et d’autres aliments.

 

Certaines offrandes nous fournissent des éléments de datation. Si le pain conique à base arrondie est connu dès la fin de l’Ancien Empire, le pain ovale orné d’incisions, lui, n’apparaît pas avant le Moyen Empire. Le récipient représenté sous la natte gauche, surmonté par un couvercle d’argile au profil concave, est ll sun vase nemset. Ce type de cruche, à corps cylindrique, fond arrondi et posé sur un support annulaire en terre cuite (pour la stabiliser), n’apparaît pas avant le Moyen Empire, où on le retrouve alors fréquemment. De même, la poterie à fond rond et bouchon pointu, reposant sur un anneau en terre cuite faisant office de support, est caractéristique du Moyen Empire où elle apparaît couramment, souvent par paire de part et d’autre du guéridon d’offrandes, ou en association avec le vase Nemset. C’est par exemple le cas sur la stèle EA 805 du British Museum, où ils présentent un style moins épuré (HALL 1912, pl. 40). Ces deux récipients restent encore en usage par la suite. D’après ces éléments, la datation du relief du musée Rodin ne peut être antérieure à la XIIe dynastie. les titres du personnage  (iry-at pr-aA, camérier du palais,  apparaît sous Sésostris III.
 

 

S’il se situe aujourd’hui au centre de la scène, le porteur d’offrandes ne devait être qu’un personnage secondaire dans le tableau original. Sainte Fare Garnot l’identifie comme un fils du défunt. Cette hypothèse est gratuite. En effet, c'est le fils aîné qui est supposé exécuter les rites funéraires en l’honneur du parent défunt. Cependant, des serviteurs, désignés par leur nom, sont souvent figurés apportant des offrandes à leur maître. Le thème de l’homme offrant un oiseau et une fleur de lotus est bien attesté depuis l’Ancien Empire (notamment aux Ve et VIe dynasties, dans les défilés de porteurs d’offrandes). Le mastaba de Mérérouka à Saqqara, daté de la VIe dynastie, renferme une scène partiellement conservée dans laquelle le propriétaire de la tombe, dans l’attitude de la marche et en taille héroïque, est suivi de son épouse et précédé de son fils aîné, qui tient dans la main gauche une fleur de lotus et dans la main droite un canard vivant (WILSON, ALLEN 1938, pl. 8).

 

En s’appuyant sur tous ces éléments ainsi que sur la pureté du dessin et la qualité de la réalisation, Sainte Fare Garnot a donc proposé une datation au début de la XIIe dynastie. Cependant, les inscriptions nous amènent à abaisser cette datation à la fin de la XIIe dynastie ou au début de la XIIIe dynastie.

 

Le relief provient d'une nécropole du Moyen Empire, Abydos, Louxor, Héliopolis, Dahchour ou Licht, etc. du Moyen Empire. La scène était peut-être placée en façade, comme le suggère l’emploi du relief dans le creux, souvent préféré au bas-relief pour les scènes sculptées en extérieur.

Inscription

L’inscription hiéroglyphique qui se développe horizontalement au sommet de la scène devait donner les nom et titres du propriétaire du monument à qui étaient destinées les offrandes. Les signes, simplement gravés et de taille importante, se lisent de la droite vers la gauche ; l’inscription est encadrée par deux lignes horizontales gravées.

Sainte Fare Garnot a restitué le nom Rénefséneb, peut-être par analogie avec la légende qui identifie le seul personnage encore visible. Cet anthroponyme est bien attesté à l’Ancien et au Moyen Empire (RANKE 1935, p. 223, n°17), mais la fin du hiéroglyphe qui précède seneb est perceptible : il ne s’agit peut-être pas d’un f car sa forme est légèrement plus droite et la gravure plus superficielle que pour les autres attestations du signe de la vipère sur le document. Le défunt pourrait se nommer simplement Séneb, prénom attesté durant toute la période pharaonique (RANKE 1935, p. 312, n° 15).

 

Au-dessous, trois lignes d’inscriptions hiéroglyphiques en creux, plus petites et se lisant de gauche à droite, sont délimitées par des lignes horizontales gravées.

La première inscription est gravée au-dessus du porteur d’offrandes. Elle est séparée des deux autres lignes d’inscriptions par un trait vertical. Elle donne uniquement le titre « préposé à la chambre du palais royal (litt. « de la grande maison ») », une fonction qui doit s’apparenter à celle de camérier. Il n’existe pas d’attestation de camérier antérieure au règne d’Amenemhat II, ce qui nous amène à dater cette scène funéraire au plus tôt du milieu de la XIIe dynastie. De par son emplacement et le sens de lecture, il est possible, mais cependant incertain, que le texte fasse directement référence au personnage conservé. Malgré la ligne verticale de séparation, ce titre est peut-être à rattacher au texte qui suit dans la partie droite.

Les deux autres lignes d’inscriptions hiéroglyphiques sont gravées l’une au-dessus de l’autre. La première désigne « son frère Amén[y] » (prénom courant à partir du Moyen Empire ; cf. RANKE 1935, p. 26, n° 18). En l’état, cette mention est immédiatement suivie par le texte de la seconde ligne, qui donne une filiation par le père « qu’a engendré Bébi […] » (un prénom aussi bien masculin que féminin, que l’on trouve dès l’Ancien Empire ; RANKE 1935, p. 95, n° 16). Nous ignorons malheureusement la longueur originale de ces deux lignes superposées et par conséquent si elles font référence au même personnage.

Si tel est bien le cas, de par leur mise en valeur et leur orientation, on peut supposer que le frère du défunt participait au banquet funéraire et qu’il était représenté dans la partie droite de scène, aujourd'hui perdue.

 

Sous la fleur de « lotus », une colonne de hiéroglyphes dont la partie inférieure est endommagée, se lisant de gauche à droite donc orientée dans le même sens que le personnage, donne sans aucun doute le nom de ce dernier : Rénefséneb ou Irefséneb. Sainte Fare Garnot identifie cette légende comme la suite de « préposé à la chambre du palais royal », ce qui semble improbable au vu de la disposition des inscriptions.

 

L’onomastique et la titulature confirment une datation à partir du Moyen Empire. 

Historic

Acquise par Rodin entre 1893 et 1913.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 169, "Fragment de stèle [ ?] représentant un [hiéroglyphes] du nom de [hiéroglyphes] debout (←) entre deux tables d’offrandes et présentant de la main droite une fleur et de la gauche un oiseau. Haut 37 cent, plus grande larg 35 cent. 12e dynastie. (Estimé à) 300 F."

Donation Rodin à l’État français 1916.

Historic comment

Le relief fut exposé à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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