Égypte > provenance inconnue
L’âge classique > Ancien Empire (2700-2200 av. J.C.) > IVe dynastie (?)
Gneiss
H. 21,00 CM : L. 24,40 CM : Prof. 13,00 CM
CO. 948
Égypte > provenance inconnue
L’âge classique > Ancien Empire (2700-2200 av. J.C.) > IVe dynastie (?)
Gneiss
H. 21,00 CM : L. 24,40 CM : Prof. 13,00 CM
CO. 948
Ce torse masculin est conservé du cou à la taille. Le fragment est néanmoins en bon état de conservation. Le côté droit est le plus endommagé puisque toute l’épaule et une bonne partie de la retombée du némès ont disparu dans la même cassure que la tête, qui traverse l’objet en diagonal, passant sur le haut du pectoral droit ; le bras au-dessus du coude manque également. Le bras gauche est brisé au niveau du coude, suivant la ligne de cassure qui traverse le buste de part en part et passe par le nombril.
Le dos porte les traces d’arrachement d'une plaque dorsale, entièrement disparue, presque assurément volontaire.
Le fragment présente très peu d’épaufrures : un éclat sur le haut de l’épaule gauche et quelques éclats en bordure externe du pan gauche du némès.
Si les cassures au niveau du cou peuvent être naturelles, ce qui n’est pas une certitude, celles de la base du fragment et de la plaque dorsale sont presque assurément volontaires et ont été débitées dans l'Antiquité.
Quant au bras droit, il est difficile de se prononcer concernant les cassures : en effet, elles adoptent un aspect très différent des autres, les surfaces sont aplanies et semblent avoir été légèrement polies avec du sable. Y a-t-il eu réparation antique, un débitage moderne ou simplement une exposition aux éléments naturels ?
Ce torse appartient à une statue de roi dont il est difficile de déterminer la position, mais l’amorce de l’avant-bras gauche suggère une position assise, les bras le long du corps, les avant-bras perpendiculaires, posés sur les cuisses. Nous pouvons supposer qu’une main était ouverte, la paume sur le genou, tandis que l’autre était fermée, le poing serré. Le statut royal du personnage est indiqué par les retombées du némès de part et d’autre du cou, une coiffe exclusivement royale qui apparait, dans sa forme définitive, à la IVe dynastie, sous le règne du fils et successeur de Khéops, Rêdjedef, dont une tête est conservée au musée du Louvre (E 12626 ; ZIEGLER 1997, p. 25 et 42-45 (1)). Les rayures des retombées sont rendues par une succession de bandes horizontales en relief et en creux, sans délimitation par des incisions.
L’amorce du cou est encore bien visible. Il ne semble pas y avoir de trace d’une barbe entre les deux retombées du némès, un attribut royal presque systématiquement présent dans l’iconographie des souverains d’Égypte.
Le roi était sans doute vêtu du pagne chendjyt, costume traditionnel du souverain d’Égypte.
Le torse est nu et soigneusement modelé. Les détails anatomiques sont bien présents. La clavicule gauche est marquée par un léger bourrelet qui s’étend de la bordure interne du pan gauche du némès, sous le cou, jusqu’au sommet de l’épaule gauche et apparait saillant lorsque la statue est vue de face. Chaque mamelon est signalé par un élément circulaire en relief détouré par une incision. Le sculpteur s’est attaché à rendre la musculature du torse, notamment les pectoraux gonflés. Une dépression verticale – la ligne blanche abdominale – relie la ligne des pectoraux au nombril tandis qu’une dépression horizontale traverse le torse au-dessus du nombril. Ces deux sillons permettent de mettre en valeur les abdominaux. Le nombril, creusé, adopte la forme d’un demi-cercle assez plat. Une réserve de pierre comble l’espace entre les bras et le torse. La taille est cintrée.
La musculature des bras est également marquée. Sur le côté gauche, le mieux conservé, l’épaule est très ronde ; un creux et un renflement de la pierre rendent le biceps.
La face arrière du fragment apporte plus d’informations. À la base de la nuque, on peut apercevoir le départ du némès, qui semble avoir été lisse. Aucune trace du catogan, que ce soit en positif ou en négatif, n’est visible dans l’axe central de la statue, sans doute à cause de la présence du support dorsal. Si l’on considère encore cet axe central, on s’aperçoit que le traitement du dos n’est pas symétrique : seul le côté droit donne à voir les chairs délicatement modelées, avec une taille légèrement cintrée. La ceinture du pagne est figurée par un relief bordé à ses limites supérieure et inférieure par une incision (la cassure se situe au niveau de l’incision inférieure). Du côté droit, la transition est assez nette avec le support dorsal dont le sommet se trouve au-dessous du némès. Le côté gauche, en revanche, est traité de manière très différente : il n’y a pas de rendu anatomique, l’arrière du bras gauche se fond progressivement dans l’amorce du support dorsal. Les traces d’arrachement indiquent également que la plaque dorsale était plus haute du côté droit. Cela implique sans doute que le côté droit de la statue pouvait être vu mais pas le gauche.
Il est donc possible que le fragment ait fait partie d’un groupe statuaire : le côté droit du roi aurait constitué une extrémité du groupe tandis qu’à sa gauche se trouvait une autre figure. Cela expliquerait le traitement plus spécifique de ce côté, où éléments anatomiques et structuraux semblent se fondre les uns dans les autres, une impression accentuée par le poli, soit parce que la deuxième figure et la continuité de la plaque dorsale gênaient le sculpteur, soit parce que ce côté n’étant pas directement visible, il n’y avait pas nécessité de le travailler en détail. Si cette hypothèse est correcte, reste à savoir quelle était cette figure aux côtés du roi : une reine assise comme lui ? Une divinité – féminine ou masculine – assise ou bien debout ?
Le type de pierre utilisé – le gneiss – appartient à la catégorie de ce que les Anciens Égyptiens appelaient les « belles pierres dures » (?c3.t nfr.t.?), dans lesquelles étaient exécutées les commandes prestigieuses, en particulier les commandes royales. Deux carrières de gneiss, offrant différentes variétés, étaient connues à l’époque pharaonique, l’une à proximité du Gebel el-Asr, dans le désert nubien au nord-ouest d’Abou Simbel (exploitée principalement à l’Ancien et au Moyen Empire), et l’autre près du village de Tombos, au niveau de la IIIe cataracte du Nil, en plein cœur du Soudan (exploitée de la XVIIIe à la XXVe dynastie). La pierre dans laquelle a été sculptée la statue Co. 948, d’un gris foncé légèrement verdâtre et translucide, correspond au gneiss des gisements du Gebel el-Asr. Il a beaucoup été utilisé pour la vaisselle de pierre de la fin de la période prédynastique à la VIe dynastie. Son emploi dans la statuaire semble plus spécifique à l’Ancien Empire (en particulier la IVe et la Ve dynastie) et à la XIIe dynastie (NICHOLSON, SHAW 2000, p. 32-35).
En l’absence d’inscription ou de visage, dont les traits auraient pu être attribués à un souverain particulier, seule la façon dont le torse a été traité nous permet d’émettre des suppositions quant à la datation de l’œuvre. Les proportions, la musculature développée et le modelé pointent immédiatement vers l’Ancien Empire, plus précisément la Ve dynastie, ce qui correspond au choix du matériau employé. S’en procurer à l’Ancien Empire impliquait de mettre en place une logistique complexe pour envoyer des expéditions loin dans le Sud.
La IVe dynastie a livré de nombreux exemples statuaires dans différents matériaux, notamment pour Khéphren et Mykérinos. La statuaire de Khéphren est très abondante ; elle provient pour l’essentiel de son complexe funéraire à Giza. Les vestiges découverts dans son temple de la vallée (ou temple d’accueil) témoignent de l’importance du gneiss dans la production en ronde-bosse de son règne. L’oeuvre la plus fameuse, réalisée dans cette pierre, est conservée au musée du Caire (CG 14 ; BORCHARDT 1911, p. 14-16, pl. 4, n°14) : le roi est représenté assis sur un trône, coiffé d’un némès qui laisse une grande partie des épaules nue. Derrière sa tête, le faucon Horus le protège de ses ailes déployées. La façon d’exécuter les rayures des pans du némès, uniquement par des bandes en relief et en creux, sans utiliser d’incisions, en laissant le reste de la coiffe lisse rappelle le traitement de la statue Co. 948. La musculature est bien développée, notamment les biceps, plus importants que sur l’oeuvre du musée Rodin. Sur une autre statue du Caire appartenant à ce même roi (CG 41 ; BORCHARDT 1911, p. 38, pl. 11, n°41), en calcite cette fois, la musculature des bras est un peu moins marquée et correspond bien à celle de notre statue, de même que le traitement du torse, avec les mamelons en relief, l’indication des clavicules et la dichotomie lisse/rayé du némès. La statue entière mesure 77 cm de hauteur, des dimensions très proches de celles de la statue du musée Rodin si elle étaitcomplète. Elle provient, elle aussi, du temple d’accueil de son complexe funéraire. Sur ces deux oeuvres conservées au Caire, une réserve de pierre relie la barbe non pas au torse mais au cou, comme c’était peut-être le cas sur le torse Co. 948 ; ce n’est cependant pas une constante dans sa production statuaire.
Les sculptures de Mykérinos, également abondantes, présentent aussi des similitudes avec la statue dumusée Rodin. Sur le groupe en grauwacke conservé au Museum of Fine Arts de Boston (inv. n° 11.1738 ; REISNER 1931, p. 37, 110, n°17, 123-124, pl. 55-60 ; PORTER, MOSS 1974, p. 29 ; FAY 1998, p. 164-166 (7), 179-180, fig. 11-12, p. 159-186), le modelé du torse rappelle celui de la statue de Rodin avec des épaules larges et musculeuses, des biceps marqués sans être développés à l’excès, des pectoraux avecdes mamelons en relief et surtout des clavicules saillantes. Le torse est plus allongé que pour la statue du musée Rodin, ce qui peut se justifier par la posture debout du souverain dans le groupe de Boston. En revanche, le némès est entièrement lisse. Cette fois, le roi n’est pas seul mais accompagné de la reine qui l’enlace d’une étreinte conventionnelle dans l’art égyptien. Selon les oeuvres connues, la barbe postiche peut être reliée au cou ou à la fourchette sternale. Comme son père, il semble avoir eu une prédilection pou rle gneiss, en témoigne la série de statues le représentant assis, à différents stades de leur exécution, mises au jour dans le temple de la vallée de sa pyramide à Giza (REISNER 1931, p. 36-37, 112-113 (n° 25-32, 35-36, 38), p. 123-124, pl. 62 ; Reisner qualifie la pierre de « diorite, translucent ». PORTER, MOSS 1974, p.30-31 ; plusieurs de ces pièces sont aujourd'hui conservées au Museum of Fine Arts de Boston).
Enfin, le groupe représentant le roi Sahourê assis sur un trône, accompagné de la personnification du nome de Coptos debout à côté de lui et de plus petite taille (Metropolitan Museum of Art de New York, inv. 18.2.4 : HAYES,1953, p. 70, fig. 46), mérite d’être signalé. Cette statue de la Ve dynastie a été exécutée en gneiss. Nous retrouvons nombre de caractéristiques de la statue du musée Rodin, notamment pour le traitement du némès et la musculature prononcée. On constate néanmoins une légère différence dans la finition : le fragment du musée Rodin présente un aspect plus poli que la statue de New York, ce qui peut s’expliquer par des conditions d’enfouissement et de conservation différentes, en particulier si la statue du MetropolitanMuseum a été davantage exposée aux intempéries. Cette oeuvre offre également, de par la position despersonnages, un parallèle possible expliquant l’aspect singulier du dos de la statue Co 948.
Il est difficile de trancher de manière catégorique en faveur d’une dynastie plutôt qu’une autre, même si le buste du musée Rodin semble présenter plus d’affinités avec la statuaire de la IVe dynastie, en particuliercelle de Khéphren.
Anépigraphe.
Acquise par Rodin entre 1893 et 1913.
BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 149, "Torse fragmentaire en diorite ayant appartenu à une statue royale. Les deux retombées du […] subsistent. L’épaule droite manque ainsi que le dos. H. 22. Estimé 600 F."
Donation Rodin à l’État français 1916
Le fragment fut exposé à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français. En décembre 1913, il fut photographié par Eugène Druet dans une vitrine, au centre d'une salle du premier étage de l'hôtel Drouot (voir images historiques, Ph.02476). Il figure sur une photographie reproduite dans l'ouvrage de Gustave Coquiot, Rodin à l'hôtel Biron et à Meudon, paru en 1917. Il y présenté dans une vitrine, entouré d'autres reliefs égyptiens.