Égypte > provenance inconnue
Nouvel Empire probablement ou Ier millénaire
Diorite
H. 15,5 cm ; L. 11,5 cm ; P. 15,4 cm
Co. 5809
Égypte > provenance inconnue
Nouvel Empire probablement ou Ier millénaire
Diorite
H. 15,5 cm ; L. 11,5 cm ; P. 15,4 cm
Co. 5809
Le fragment conservé est en bon état. On constate quelques éclats dans l’angle de la narine droite et tout le long de la partie gauche de la cassure.
Le fragment est réduit à l’extrémité d’un museau de bélier jusque sous les yeux. L’amorce du coin interne des yeux est conservée juste avant la cassure, mais pas suffisamment pour indiquer la forme des yeux.
De légères lignes de dépression partent en diagonale depuis le coin de chaque œil vers le sommet du museau et se perdent dans la cassure. Elles marquent ainsi une différence de volume entre la zone frontale qui comprend les yeux et celle du mufle.
De chaque côté du mufle, on remarque quatre incisions parallèles bien marquées, qui ne se rejoignent pas au sommet du museau. Ces marques stylisées représentent probablement des plis de chair. C’est également le cas des deux incisions parallèles, un peu moins prononcées, qui barrent le dessus du museau juste au-dessus du nez.
Le nez a été sculpté dans la pierre de façon à figurer les narines de l’animal. Il est séparé en deux par une incision verticale qui descend jusqu’à la bouche aux commissures ascendantes.
Malgré la stylisation, le sculpteur a insufflé un peu de naturalisme dans son œuvre par le modelé des chairs délicat, rendu par des dépressions plus ou moins accentuées au niveau des joues, les volumes très doux, la ligne courbée du museau de même que l’angle entre le menton et la mâchoire de l’animal.
Les quatre incisions de part et d’autre du museau ainsi que le nez fendu semblent être des caractéristiques propres à cette œuvre.
Originaires du Proche-Orient, les ovins apparaissent sur le territoire égyptien dès le Néolithique. La première espèce connue des Egyptiens, Ovis longipes palaeoaegyptiacus, se distingue chez les mâles par de longues cornes horizontales spiralées. Cette espère, peu présente dans l’iconographie égyptienne, va cependant perdurer dans le répertoire hiéroglyphique pour désigner le bélier. Les cornes horizontales, caractéristiques du longipes, vont également se retrouver sur certaines couronnes divines tout au long de l’histoire égyptienne.
Au cours du IIe millénaire, l’espèce du longipes est remplacée par une autre espèce, l’Ovis aries palaeoatlanticus, dont les mâles possèdent d’épaisses cornes, incurvées vers le bas autour des oreilles.
Les Egyptiens ont donc connu plusieurs espèces de moutons qui se distinguent par la forme de leurs cornes. Il n’est pas possible de déterminer l’espèce représentée sur l’œuvre du musée Rodin. Si, sur de nombreuses statues, les cornes incurvées de l’Ovis aries sont figurées sur les joues et s’étendent parfois jusqu’à la bouche de l’animal, elles peuvent également être rapportées dans un autre matériau, ne laissant ainsi aucune trace sur le mufle. Un magnifique exemple est conservé à l’Ägyptisches Museum und Papyrussammlung de Berlin (inv. 7262 ; DELANGE, Le pharaon-soleil, p. 183-184, n°31). Ce bélier monumental d’Amon protégeant le roi Amenhotep III, sculpté en pierre, arbore un disque solaire, un uraeus, des oreilles et des cornes rapportées en métal.
Des cornes de bélier horizontales spiralées, celles des longipes, sont également conservées dans les collections muséales ; elles étaient réalisées en alliage cuivreux (musée du Louvre N 4293) ou bien en bois (British Museum EA 12265). Elles prenaient peut-être place sur des statues de béliers composites.
Le bélier n’apparait pas dans la statuaire en sa qualité de simple animal. Il est lié à plusieurs divinités : en ce qui concerne le longipes, Banebdjed (« le bélier-ba seigneur de Djed ») à Mendès, Heryshef (« celui qui est sur son bassin ») à Héracléopolis, Khnoum dans de nombreuses localités ; pour l’aries : Amon de Thèbes, dont le culte s’étendra à toute l’Egypte et sera exporté au Soudan.
Ce mufle de bélier a appartenu à une statue représentant l’une de ces divinités sous forme criocéphale voire entièrement animale. Quelques statues d’Amon et Khnoum sous forme d’homme à tête de bélier sont connues, comme la statue de Khnoum criocéphale en quartzite conservée au musée du Louvre, qui date probablement du règne d’Amenhotep III (musée du Louvre AF 2577 ; le museau a été restauré).
Les statues entièrement zoomorphes de ces divinités sont plus rares, mais leur existence est attestée notamment par une stèle de la XVIIIe dynastie sur laquelle on trouve la représentation d’une statue de bélier, identifiable par son socle, accompagnée d’une prière à Amon-Rê (musée du Louvre E 11922)
Le fragment Co. 5809 pourrait également provenir d’un dromos de criosphinx, une innovation iconographique d’Amenhotep III voire de Thoutmosis IV qui allie corps de lion et tête de bélier. Le criosphinx est produit en grand nombre sous Amenhotep III – au moins une centaine – pour être placé à l’entrée du temple de Louxor ; les statues seront par la suite déplacées devant le Ier pylône du temple de Karnak.
Le temple de Mout à Karnak comprenait un dromos composé non pas de criosphinx mais de béliers en grès et en « granit » gris, datant également du règne d’Amenhotep III. Un exemplaire est conservé au musée égyptien de Turin (Turin, Museo Egizio C. 836). Criosphinx et béliers seront également très en faveur sous le règne de Taharqa, à la XXVe dynastie, comme en témoigne le bélier provenant du temple de Kawa, au Soudan, conservé au British Museum (Londres, British Museum EA 1779).
Ces criosphinx et ces béliers réunis en dromos représentent sans équivoque le dieu Amon ; ils sont généralement pourvus d’une barbiche et protègent toujours une effigie royale placée sous leur menton. Or, le menton du mufle du musée Rodin est totalement lisse et poli, ce qui indique qu’il n’y avait ni barbiche, ni effigie royale.
Une dernière possibilité peut être envisagée si une datation tardive venait à être confirmée : il pourrait s’agir du mufle de la statue d’un animal sacré, un animal unique dans lequel une de ces divinités pouvait s’incarner. Nous savons qu’il existait aux époques tardives des nécropoles pour les béliers de Khnoum à Eléphantine et pour les béliers Banebdjed à Mendès. De leur vivant et après leur mort, ces animaux au statut très particulier recevaient une forme de culte. Il devait donc exister des sanctuaires renfermant des statues à leur effigie, à l’exemple du Sérapeum de Memphis qui a livré une très belle statue du taureau Apis, représentant du dieu Ptah sur terre, aujourd'hui conservée au musée du Louvre (musée du Louvre N 390).
Un fragment de bas-relief en calcaire du musée Rodin (Co. 940 ; GOLDSCHEIDER, Rodin collectionneur, n°7, indiqué sous son ancien numéro d'inventaire DRE 38) comporte une colonne d’inscription fragmentaire portant la mention « Banebdjed » (« le bélier-ba maître de Mendès »). Le scribe a utilisé comme signe hiéroglyphique l’image d’un bélier longipes. Le rapprochement avec le mufle de bélier est tentant. Connaître le mode d’acquisition des deux objets par Rodin permettra peut-être de déterminer s’ils sont de même provenance et font référence à la même divinité.
Anépigraphe.
Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.
BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 42, "Partie antérieure d'un museau de bélier, en granit gris, Haut. 16 ; Long. 12, estimée cent cinquante francs."
Donation Rodin à l'État français 1916.
L'objet fut exposé à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.