Cet élément en terre cuite glaçurée n’est conservé que sur l’une de ses extrémités. Il est difficile d’inférer précisément sa fonction à partir d’un si petit fragment. On peut, peut-être, suggérer d’y voir une terre cuite architecturale, destinée à habiller un angle extérieur d’un bâtiment.
La face externe présente une moulure en léger relief sur les arêtes de l’angle et un décor peint, vitrifié par la glaçure. Celui-ci figure deux oiseaux opposés, de deux espèces différentes. On peut y reconnaître assez vraisemblablement un aigle à gauche et une oie ou un cygne à droite. Bien que stylisés, ils sont identifiables grâce au soin apporté au rendu de leur bec et de leur plumage. Le verso du fragment est tout à fait lisse et n’a conservé aucun décor.
La terre cuite glaçurée est fréquemment appelée « faïence » par abus de langage en égyptologie, mais il s’agit en réalité de
fritte. Si les deux termes désignent des matériaux composites formés d’une terre cuite et d’une glaçure vitreuse, la faïence possède bien deux couches séparées (l’émail étant susceptible, en s’écaillant, de se détacher), alors que la
fritte utilise un procédé de migration chimique des alcalins qui permet la fusion des deux composantes et donc une plus forte adhérence. Ce type de glaçure pouvait être appliqué sur l’argile, le métal et sur certaines pierres.
C’est l’ajout d’oxyde de cuivre qui donne sa couleur bleue ou bleu-vert, caractéristique à la faïence égyptienne du Moyen et du Nouvel Empire. Celui-ci peut être combiné avec d’autres pigments comme l’antimoniate de plomb afin de produire un vert intense, ou encore avec du cobalt afin d’obtenir un bleu foncé et intense. Le bleu-vert est néanmoins la couleur dominante en Égypte, puisque le cuivre est exploité par les Égyptiens dès les plus hautes époques.
L’usage de la
fritte est ancien en Égypte, comme en témoigne le décor des appartements funéraires de la pyramide de Djoser, à Saqqara, vers 2700 avant J.-C. Sa production explose surtout au Moyen Empire, pour des objets de la religion quotidienne (notamment les amulettes) et funéraires, et au Nouvel Empire. Pour cette période, on a retrouvé de nombreux exemples de terres cuites architecturales glaçurées, en particulier pour la décoration des palais, à Tell el-Amarna ou à Malqata par exemple. Elles présentent généralement des décors floraux et animaliers censés évoquer un jardin d’agrément (par exemple Petrie Museum Inv. N° UC 783), et des carreaux d’angle et de bordure étaient produits pour encadrer les scènes décoratives et masquer la maçonnerie de briques (e.g. Petrie Museum Inv. N° UC 935). À partir de l’époque ramesside, les incrustations de faïence deviennent plus fréquentes et plus volumineuses encore.
Durant l’époque gréco-romaine, la faïence sert essentiellement à la réalisation de statuettes ou encore pour décorer la vaisselle en terre. Les motifs végétaux et animaliers sont alors privilégiés, comme des oiseaux affrontés, des motifs végétaux et des animaux fantastiques (griffons) et réels (lion, dromadaires, canards) (Louvre
E 11141, Louvre
AM 1461 B).
Sans connaître la provenance de l’objet, ni son mode d’acquisition par Rodin, il est difficile d’avancer une identification et une datation précise pour ce fragment. La couleur de la glaçure (tirant bien plus sur le vert que sur le bleu) invite à la dater de la période islamique (comm. pers. de Romain David), c’est-à-dire une production médiévale, postérieure au VIIe siècle après J.-C. Aucun parallèle précis n’est pour le moment connu, mais le style de représentation des animaux semblant se rapprocher plutôt de productions iraniennes, cette pièce pourrait donc ne pas provenir d’Égypte (comm. pers. de Valentina Vezzoli).