Fragment de peinture murale

Scène de banquet : femme devant Teta-ankh

Égypte > Dra Abou El-Naga > Tombe de Tétiky (Tombe thébaine 15)

Nouvel Empire > XVIIIe dynastie

H. 28, 5 CM ; L. 28,5 CM ; P. 8 CM

Peinture sur enduit et mouna

Co. 3435

Commentaire

Etat de conservation

L’œuvre est en bon état de conservation. La peinture est écaillée par endroits, mais la scène est complète et lisible. Des traces de peinture blanche ayant éclaboussé le décor pourraient correspondre à un badigeonnage moderne.

Description

Ce fragment de peinture sur enduit provient de la paroi nord de la tombe de Tétiky, située dans la nécropole thébaine. Maire de Thèbes sous le règne d’Ahmosis, tout premier roi du Nouvel Empire, sa tombe est notamment célèbre pour conserver certaines des plus anciennes représentations de la reine Ahmès-Nefertari, épouse du roi Ahmosis. La tombe est découverte en 1908 par Lord Carnavon et les photographies, dessins et premiers relevés sont réalisés par Howard Carter, le célèbre inventeur de la tombe de Toutankhamon quelques années plus tard.

 

Le fragment, ainsi que deux autres également conservés dans la collection Rodin (Co. 3411 et 3481) proviennent d’une scène de banquet, surplombée d’une frise inscrite. La paroi est couverte d’un enduit pâle et épais nommé mouna, qui reçoit ensuite le décor peint. Les personnages sont figurés avec peu de détails : sans sourcils, avec peu de contours internes, sauf pour les silhouettes des deux personnages féminins, dont les chairs ocre jaune (en accord avec le canon de représentation des carnations féminines) sont soulignées d’un trait rouge foncé. La palette des couleurs est particulièrement sobre et celles-ci sont appliquées par simples aplats. Ce mode de représentation doit être comparé avec la grande finesse des détails et des jeux de textures d’autres peintures thébaines légèrement postérieures, comme celles de la tombe de Nebamon (TT 52) conservée au British Museum (inv.no. EA 37977 et suivants).

 

Sur ce fragment, une femme se tient debout devant l’un des invités au banquet (le premier, sans doute, sur un registre contenant originellement plusieurs personnages à la file, représentés sur un fond blanc). Vêtue d’une robe blanche à bretelle unique, elle est coiffée d’une longue perruque tripartite, dont les ornements sont peints à l’ocre jaune, et son cou est orné d’un collier de perles bleues. Derrière elle, une très jeune fille, dont le nom pourrait se lire Pa’airou (cf. N. de GARIS DAVIES, 1925, pl. IV), tend le bras gauche pour présenter au convive un objet dans son poing serré – peut-être un linge imprégné. La photographie de la scène, dans la publication originelle (Carnavon & Carter 1912, pl. V), témoigne du vêtement que portait la jeune fille, détruit sur ce fragment : elle était habillée de la même manière que les autres personnages féminins adultes de la scène, mais avec une robe à deux bretelles.

 

L’invité masculin – représenté de plus grande taille et assis – est identifiable grâce à mention de son nom dans la légende de la scène : il s’agit de Teta-ankh, fils de Tetaseneb. En tant que membre de l’élite sociale égyptienne, il est vêtu d’un court pagne de lin blanc et porte une perruque courte, ainsi que des bijoux. Les mèches de sa chevelure sont soigneusement indiquées par des stries à l’ocre rouge foncé. Deux bracelets blancs ornent ses bras et ses poignets, un anneau doré est figuré à son oreille, et il arbore un collier à quatre rangs de perles bleues alternant avec quatre rangs de perles jaunes. Son bras droit enserre le poignet gauche de la femme qui lui fait face. Elle semble occupée à toucher de sa main droite le front du personnage. Bien que le geste soit énigmatique, des scènes comparables suggèrent qu’il s’agit une servante assistant un invité ayant bu plus que de raison (un détail confirmé d’après N. de GARIS DAVIES, 1925, p. 15, par un fragment du registre inférieur détaché de la paroi), en rajustant sa toilette ou en passant un linge sur le visage de l’homme, malade sous l’effet de la boisson. On connaît en effet plusieurs scènes de beuverie, comme dans une autre tombe thébaine à peu près contemporaine (la TT 49 de Neferhotep), où comme ici, une servante s’empresse auprès d’une femme richement vêtue qui vomit sous l’effet de la boisson, et porte la main à son front. Il est même possible qu’il s’agisse là d’un élément considéré comme positif dans la représentation de la fête, montrant par là son efficacité pour atteindre l’ivresse (TALLET 1998 pp. 349-354).

Œuvres associées

Reliefs Co. 3411 et Co. 3481, provenant de la même tombe.

Inscription

Traces des inscriptions sur le bord supérieur et latéral gauche du fragment. La planche IV du JEA 11 et l’étude de G. LEGRAIN dans la publication de CARTER et CARNAVON (1912), permettent de reconstituer le texte.

Historique

Acheté par Rodin à l'antiquaire Oxan Aslanian le 24 septembre 1913.

Donation Rodin à l'Etat français en 1916.

Commentaire historique

Le fragment fut acheté par Rodin à Paris, auprès de l’antiquaire Oxant Aslanian, le 24 septembre 1913, dans un lot de « quatre fresques égyptiennes de la XVIIIeme dynastie » parmi seize antiquités en provenance d’Égypte, sans indication précise sur le site de découverte, d’une valeur totale de 1200 francs. Cette date d’acquisition est corroborée par l’absence de description dans l’inventaire de Charles Boreux, achevé à cette date.

 

En 1913, l’intérêt de Rodin pour la peinture antique et la « fresque » en particulier, était des plus vifs. Dès les années 1890-1900, le sculpteur s’intéressa aux recherches de ses contemporains sur les techniques et les matériaux anciens, « antiques » ou exotiques comme le grès et à la pâte de verre. Il fréquenta Puvis de Chavannnes, puis Maurice Denis et les Nabis qui oeuvrèrent à un certain renouveau de la peinture murale. En 1907, Henri Dujardin-Beaumetz, sous-sécrétaire d’État des Beaux-Arts, après avoir visité une exposition de ses dessins à la galerie Bernheim Jeune, chargea le sculpteur de réaliser une fresque pour décorer une salle du séminaire de Saint-Sulpice dans le nouveau musée des artistes vivants, à Paris. La commande officielle ne lui fut passée qu’à la fin de l’année 1911 et resta inachevée. En 1912 et 1913, il étudia ainsi les ressources des techniques de peinture anciennes, a fresco ou a tempera, et fit traduire par les peintres C. H. Charlier, Jeanne Bardey ou Marie Cazin quelques-uns de ses dessins, sur les danseuses cambodgiennes, en particulier, en vue du grand projet. Les exemples conservés montrent que la technique de la fresque au sens strict du terme ne fut pas la seule expérimentée et que l’on peut élargir son intérêt à la peinture murale de manière générale : « La fresque est un travail plus proche de la sculpture que de la peinture ; ce serait l’intermédiaire entre le bas-relief et le tableau, et, la plupart du temps, on la pourrait remplacer par celui-là. Il s’agit surtout de dessiner, de donner des lignes sculpturales, des formes simples, d’où le relief se dégage. Les couleurs sont non seulement unies et peu variées, mais baissées d’un ton ; elles doivent tendre vers la grisaille. Volontiers, je rapprocherais cet art, en raison de son harmonie grandiose, des chœurs de la tragédie antique, par où s’exprimait la voix du peuple, et qui formait à l’action tragique comme un noble décor » Anonyme, « Nouvelles », La construction Moderne, 26 novembre 1911.

Ce goût pour la peinture murale, dans son musée imaginaire, comprend, dans une même filiation, la peinture de l’antiquité, du Moyen-Age et de la Renaissance. La peinture en aplat rappelle sa passion pour les estampes japonaises dont il fut un grand collectionneur. L’arrivée des quatre fragments de peintures égyptiennes, en 1913, s’inscrivait pleinement dans le fil des recherches en cours. Son choix se porta sur des représentations du corps humain, selon ses vœux, vu à la fois de profil et de face, sans perspective, au dessin simplifié. Il fut aussi sensible aux bouleversements des canons de proportions et les échelles différentes utilisées pour figurer les personnages. Les quelques couleurs utilisées sont mates, posées en  aplats et soulignées par le tracé d’un contour.

 

En août 1915, le sculpteur fit monter trois des quatre fragments par l’ébéniste japonais Kichizo Inagaki, dans des coffrets en bois avec vitre à glissière pour les protéger et les exposer. Ce soin particulier signe l’intérêt qu’il leur porte et désir de les présenter parmi les pièces d’exception à l’hôtel Biron, dans une préfiguration du musée Rodin.

Archives

Facture du 24 septembre 1913, archives musée Rodin, Paris ; chèque n° 92258, Crédit algérien, archives musée Rodin, Paris

 

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