Stèle miniature

Provenance inconnue 
Date indéterminée 
Terre cuite
H. 6,5 cm ; L. 5,3 cm ; P. 1,5 cm 
Co. 3389

Commentaire

Etat de conservation

Stèle en terre cuite, détériorée à l’angle droit inférieur. La surface présente craquelures et épaufrures.

Description

Cette petite stèle de type tablette a été réalisée en terre cuite, dans un matériau composite clair. Sur une surface à peu près lisse, une scène figurée a été incisée, accompagnée de signes reproduisant un système d’écriture. Au dos, la face non utilisée a été laissée grossièrement équarrie, comme en témoignent les nombreuses traces d’outils.

 

Sur la face décorée en creux, une figure masculine est placée de profil, assise sur un siège. Le personnage, assez sommairement représenté, élève son bras droit, main levée au niveau de son visage. Son bras gauche est abaissé, étendu le long de son corps. Il est paré d’une ceinture, retenant très certainement un vêtement de type pagne aujourd’hui indécelable, et des bracelets ornent ses bras et ses poignets. Un collier se devine autour de son cou, et sa chevelure serait matérialisée, mais il n'est pas possible de l’affirmer avec certitude. Les traits sont frustres et grossiers. Si le corps est anthropomorphe, le visage, de forme quasi triangulaire, est plus hybride. Evoquant un masque, seul un œil surdimensionné, grand ouvert et vu de face, y a été marqué. Le caractère sommaire de la gravure est particulièrement bien visible dans le traitement des mains. Grossièrement trapézoïdales, disproportionnées par rapport au reste du corps, les doigts n’y sont notés que par une incision verticale. En dépit de ces maladresses, l’importance du statut du personnage est soulignée par le siège sur lequel il est assis, doté d’un dosseret et équipé d’un piédestal, sur lequel ses pieds reposent comme en surélévation.

 

Autour de la figure humaine, plusieurs signes de pseudo-écriture ont été incisés, sans continuité apparente ni organisation linéaire clairement identifiable. Il est cependant à noter que personnage et signes adoptent la même orientation ; ils sont tournés vers la gauche.

 

L’iconographie et le style de cette stèle sont peu communs. La représentation du siège s’inspire des codes égyptiens, tout comme la figuration de profil, ou encore les glyphes gravés devant et au-dessus du personnage. Néanmoins, le style général, tout comme certains motifs comme l’animal ailé placé au centre de la stèle (à voir comme un sphinx ?), évoquent une production levantine. Les objets produits localement dans les villes placées sous influence culturelle égyptienne (Byblos, Ougarit) reprennent bien souvent les codes et canons artistiques égyptiens d'une façon plus ou moins maladroite (cf MATOÏAN 2015). Il pourrait donc s’agir de l'adaptation proche-orientale d’un motif égyptien, peut-être réalisée à l’âge du Bronze moyen ou au Bronze Récent (équivalents des Moyen et Nouvel Empire égyptiens).

 

Les signes demeurent difficilement intelligibles. En effet, alors que certains glyphes semblent égyptiens, d’autres sont employés en ougaritique, d’autres encore en phénicien et, enfin, certains semblent comparables aux pseudo-hiéroglyphes de Byblos. Ces derniers sont connus par un ensemble de tablettes inscrites découvertes à Byblos dans les années 1920, dont beaucoup de signes sont géométriques mais certains sont clairement inspirés de hiéroglyphes égyptiens (voir par exemple DUNAND 1945 ou la liste des signes sur MNAMON). On connaît également une autre écriture née au Levant et inspirée des hiéroglyphes égyptiens : le protosinaïtique (voir GOLDWASSER 2007). Là encore, aucun des signes de cette écriture n’apparaît vraiment assimilable à ceux présentés sur cette stèle (à comparer par exemple avec les signes protosinaïtiques incisés sur le sphinx miniature du British Museum EA 41748).

 

En l'absence de tout contexte de découverte, il n'est pas possible de l'identifier  ni de le dater avec certitude.

Inscription

Ecriture en pseudo-hiéroglyphes, encore à déchiffrer.

Historique

Vendu par Antoine Bourdelle à Rodin le 14 décembre 1906.

Donation Rodin à l'État français en 1916.

Commentaire historique

Cet objet provient probablement d'Antoine Bourdelle, autre collectionneur et marchand. Ce sculpteur est assez peu connu pour cette activité, révélée par ses archives et en particulier son cahier de compte et un carnet titré « Objets libres », conservés au musée Bourdelle ainsi que ses lettres à Rodin, conservées au musée Rodin (Antoine Bourdelle, Auguste Rodin, Correspondance (1893-1912), Édition de Colin Lemoine et Véronique Mattiussi, Paris, Collection Art de Artistes, Gallimard, 2013.)

 

Le sculpteur se fournissait chez des antiquaires, ou plutôt des brocanteurs, tout au long de la route le menant vers son sud natal, Dijon, Clermont-Ferrand, Nîmes, Marseille, plus exceptionnellement en Suisse. A son retour à Paris, il revendait ces objets à différentes relations, dont Rodin dès 1897, avec un pic en 1906 : « Pour votre superbe Musée, j’ai trouvé chez des bric-à–brac et Antiquaires de Provence des Antiques, des bronzes, des pierres, des marbres, du fer, du bois, splendides, qui enrichiraient beaucoup ou un peu votre collection. » (Lettre de Bourdelle à Rodin, 7 novembre 1906, archives musée Rodin, BOU.843). En novembre, il écrivit encore de Marseille : « Mon cher Maître, J'ai reçu cinq cents francs. J'en ferai le mieux possible dans l'intérêt de votre musée. J'ai vu et acquis de si charmants morceaux. Je fais des démarches aujourd'hui pour un grand chapiteau de marbre. J'ai trouvé de vieux indos-chinois. [...] J'ai vu des splendides photos de sculptures égyptiennes chez Mr Foucard, l'éminent égyptologue qui vous fût présenté pendant que vous dessiniez Sisowath à Marseille. Croyez l'idée de ce monarque que l'épervier sacré défend ! à bientôt et bien dévoué. Bourdelle. » (Lettre de Bourdelle à Rodin, archives musée Rodin, BOU.843)

Le 4 novembre, Bourdelle ajoutait : Cher Maître, Je termine et je vais rentrer et venir vous voir = tous les soirs après le travail je vais, pour un de mes amis de Marseille, voir les Antiquaires. J'ai trouvé de très belles choses. Bronzes, terres, marbres, bois, Antiques, gothiques, Renaissance, Indou, Louis XIV et XV, [...]. (Lettre de Bourdelle à Rodin, archives musée Rodin, BOU.843)

Le 24 novembre, Bourdelle chantait son amour de l’art égyptien qu’il considérait comme un instrument de mesure de la beauté : « Mon cher Maître/ Quitté Marseille par un soleil bleu./ Rentrons par l’auvergne = vais revoir un moulage de sculpture gaulois belle comme de l'Égyptien./ meilleures amitiés cher Maître/ E. A. Bourdelle »(Carte postale de Bourdelle à Rodin, archives musée Rodin, BOU.843).

Le 12 décembre 1906, Rodin invitait Bourdelle à venir le voir à Meudon : « Mon cher Bourdelle, Je serai à Meudon vendredi toute la journée, mais si vous pouvez venir de très grand matin, nous serons plus tranquilles. Cordialement à vous et mes hommages à Madame. A. Rodin. (Lettre de Bourdelle à Rodin, archives musée Rodin, BOU.843). Bourdelle recensait les d’objets égyptiens alors apportés à Rodin : « Porté par moi chez Rodin 14 déc. 1906/[...] Carré ter cuite égyp 3 f [...] « (Carnet Bourdelle, p. 1, archives musée Bourdelle) et de manière plus précise : « Apporté A. Rodin [...] Carré terre cuite Egypt. Gravée 3 F [...] Bourdelle le 14 déc. 1906 » (Liste de Bourdelle à Rodin, archives musée Rodin, BOU.843)

 

Les prix étaient très bas et les objets de faible qualité. Bourdelle fit-il de ce commerce un gagne-pain, lui qui travaillait alors pour vivre comme praticien de Rodin ? Sans doute l’envisageait-il davantage comme un lien d’amitié avec un artiste dont il souhaitait se rapprocher en satisfaisant son obsession collectionneuse. Rodin lui demanda en 1906 de cesser ses envois pour consacrer son argent à sa sculpture (Lettre de Auguste Rodin à Antoine Bourdelle, 17 décembre 1906, Archives musée Bourdelle, Correspondance, p. 204).  Au sein de la collection de Rodin, les œuvres acquises de Bourdelle apparaissent comme un lot exogène, petits objets sans valeur et parfois en mauvais état. Elles ne trouvaient aucun équivalent dans les objets achetés par Rodin chez les antiquaires, mais peuvent être reliées aux petits antiques exposés dans les vitrines du musée Bourdelle. (B. Garnier, "Le language de l'antique, Antoine Bourdelle, Auguste Rodin, Anatole France, Elie Faure", Bourdelle et l'antique. Une passion moderne, Paris, 2017, p. 30-35)

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