Ces bas-reliefs proviennent du temple d'Athribis, dont les ruines sont situées au pied de la chaîne de montagnes du Gebel Adrîba, près du village moderne de Nag' al-Shaykh Hamad. L'ancienne colonie est située à environ sept kilomètres au sud-ouest de Sohag et appartient donc au 9e nome de Haute-Égypte dont la capitale, Akhmim, est située à l'est d'Athribis. Le temple a été construit par Ptolémée XII (81-58 et 55-51 av. J.-C.), mais l’aménagement des décors a perduré jusque sous l’empereur Domitien (81-96 ap. J.-C.). On y vénérait la déesse lionne Repit ainsi que son mari Min et son fils Kolanthes.1
Les blocs du Musée Rodin appartiennent à une chambre dont la construction fut initiée sous Ptolémée XII et achevée sous Tibère (F 6).2 Selon les inscriptions, la chapelle était appelée, entre autres, "Chambre de Pount" et "Chambre de la Terre de Dieu". À l'époque de la construction du sanctuaire, ces toponymes désignaient les régions d'Afrique du nord-est et les régions arabes d'où étaient importés l'encens et la myrrhe vers la vallée du Nil.3
La chambre appartient à un complexe composé de trois pièces (pièces F 4-F 6), auquel on accède par le déambulatoire occidental (voir plan). Cet espace est communément identifié comme étant le "laboratoire" ou "atelier des onguents" du temple.4 Ces dénominations sont toutefois trompeuses, car les onguents et autres produits parfumés étaient certainement préparés à l'extérieur du temple. Il s'agit plutôt d'une sorte d’entrepôt.5 Les inscriptions sur les murs énumèrent les substances et les parfums nécessaires à la fabrication de ces produits, comme c’est le cas également dans le dit “laboratoire” du temple d’Horus à Edfou.6 Les soubassements sont quant à eux décorés des célèbres représentations d'encens et d'arbres à myrrhes.
Tous les blocs proviennent du premier registre du mur ouest de la pièce. Ils représentent cinq scènes rituelles dans lesquelles le roi, accompagné dans un cas de la reine, présente aux dieux des offrandes étroitement en lien avec le thème général de cet "atelier des onguents". Le parallèle entre les dons et la fonction de la pièce est particulièrement claire pour la styrax, le bois léger/encens (F 6, 23) et les arbres S#w (F 6, 24), car ces produit servent directement à la fabrication de parfums et d’encens.7
Le lien est cependant moins frappant pour l’œil oudjat (F 6, 25) et les deux sacs de peinture minérale pour les yeux (F 6, 26). Force est de constater que tous deux incarnent des caractéristiques de Min, l'une des trois divinités principales du temple. Connu comme le seigneur du désert oriental, abondant en minéraux, ce dieu est associé aux pierres précieuses et à des minéraux, telles que la malachite et la galénite, exploités pour la fabrication de la peinture pour les yeux vertes et noires.8 De plus, Min était un dieu protecteur de l’astre lunaire, ce qui pourrait donner sens à la consécration d’un œil oudjat, symbole de la pleine lune 9. Dans la "chambre de Pount", cependant, cette offrande n'est pas donnée à Min, mais à une divinité féminine. Il faut donc chercher ailleurs l’explication de la présence de cette offrande. L'inscription accompagnant la scène de consécration nous apprend que l'œil oudjat est composé de matériaux importés de Pount et du pays du dieu, paraphrasé comme "choses splendides" (#Xw). Il est probable que les scribes faisaient ici référence à des minéraux précieux extraits dans le territoire de dieu Min. Cette interprétation est confirmée par un texte rituel connu de plusieurs temples. Celui-ci décrit en détail les différents matériaux composant la fabrication d’un œil oudjat, apparemment utilisé dans les rituels, à savoir des minéraux et diverses plantes10. Ainsi, en regardant sa matérialité et non ce qu’il symbolise, on comprend que cet oeil oudjat correspond parfaitement au thème général de la dite « chambre de Pount ».
En résumé, le « laboratoire » d'Athribis contient des inscriptions et des représentations relatives aux produits « exotiques » de cette région lointaine que les anciens Égyptiens appelaient Pount ou Terre de Dieu. Les substances sacrées sont avant tout des plantes qui dégagent une odeur parfumée lorsqu'elles sont brûlées, ou qui peuvent être transformées en onguents et encens odoriférants. Les minéraux de Pount semble y jouer un rôle moins important, bien qu’ils soient des ingrédient essentiels pour la fabrication de la peinture pour les yeux. Onguents et minéraux participent ainsi à l’embellissement des statues de culte.
Les inscriptions mettent également en avant le contrôle militaire exercé par le Roi sur la région du Pount. Bien que cela ne correspond pas la réalité historique, cette idée reflète la conception égyptienne de l’ordre du monde (m#ot)11 dont le Pharaon est pleinement maître. Cette suprématie étant accordé par Dieu, le roi pouvait accéder à tout moment aux ressources très prisées de cette région. En consacrant ces offrandes, le rituel restitue les produits créés à leurs divinités créatrices. Ainsi, le roi maintient en vie le culte du temple et par conséquent l’Égypte toute entière. 12
Notice rédigée par Stefan Baumann (Trier University) & Carolina Teotino (University of Tübingen)