ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE
ÉPOQUE SAÏTE > XXVIe dynastie > 656 - 525 AVANT J.-C.
BASALTE
H. : 23,3 cm ; L. : 23,3 cm ; P. : 20,1 cm
Co. 880
ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE
ÉPOQUE SAÏTE > XXVIe dynastie > 656 - 525 AVANT J.-C.
BASALTE
H. : 23,3 cm ; L. : 23,3 cm ; P. : 20,1 cm
Co. 880
Il ne reste de la statue que la tête, elle-même fragmentaire. Deux grosses pertes de matière creusent une balafre de la tempe gauche au menton, emportant avec elle une partie de l’œil et du nez, et du côté droit, où la joue est manquante sous la pommette. Le pan arrière droit de la coiffe est largement détérioré. De nombreuses éraflures parsèment l’œuvre. Enfin, le haut et les flancs du pilier dorsal ont subi des dégradations effaçant quelque peu le début du texte hiéroglyphique, dont seule la partie haute est conservée.
On note des restes de terre d’enfouissement dans les surfaces concaves de l’œuvre, particulièrement les plis des oreilles, les cassures et les hiéroglyphes. Le rapport d’intervention effectuée en septembre 2008 fait mention de projections accidentelles de peinture blanche qui maculent ponctuellement la surface.
Ce fragment statuaire représente une tête d’homme brisée au niveau du menton. Il s’agit d’une statue de particulier, que les inscriptions du pilier dorsal nomment Peftjaouâasetânkh.
La tête est coiffée d’une perruque « en bourse » (cf. PERDU Olivier, Les statues privées de la fin de l’Égypte pharaonique (1069 av. J.-C. - 395 apr. J.-C.) I, Hommes, Musée du Louvre, Paris, 2012, p. 42), c’est-à-dire gonflant de part et d’autre du visage tout en laissant les oreilles à découvert. Elle descend bas sur le front, sous la forme d’un léger ressaut qui se prolonge au devant des oreilles, créant de courtes pattes temporales. La perruque « en bourse » existe dès le Moyen Empire et se popularise à partir de la seconde moitié de la période saïte. La perruque descend bas sur le front ne laissant qu’un espace d’environ un centimètre entre le ressaut et les sourcils. Ces derniers, en léger relief, se manifestent également par l’incision de leur contour. Dans leur forme, ils sont d’abord horizontaux puis s’étirent vers les tempes concaves en formant une courbe. Ils encadrent une glabelle bombée rendant subtilement les rides du lion et ajoutant au réalisme du visage. La glabelle annonce un nez à la racine fine et à la base large, encore visible malgré les lacunes de matière. Les contours des yeux, rehaussés d’une fine ligne de fard s’étirant vers les tempes, sont incurvés bien que la paupière supérieure ne le soit plus que l’inférieure. Les coins intérieur et extérieur sont profonds. Les cernes creusées avec délicatesse introduisent des pommettes à l’arête saillante. Celles-ci s’allongent jusqu’à la base des pattes temporales.
D’autres spécificités de cette statue permettent d’arguer en faveur d’une attribution à la période saïte : d’une part, les statues de particuliers de grande taille, en granite noire (souvent réservé à la monarchie aux périodes précédentes) et présentant ce même poli très luisant sont typiques des périodes tardives, et plus particulièrement caractéristiques de la XXVIe dynastie. On peut la comparer, parmi de nombreux exemples, à la statue du Musée du Louvre E14705 ou encore à celle du British Museum EA41517, qui présentent la même perruque « en bourse », mais aussi un traitement similaire des détails du visage.
Parmi les détails les plus significatifs en termes de typologie, il faut noter le traitement des sourcils. Mal préservés ici, on distingue cependant encore leur léger relief : ils ne sont que très légèrement arqués, par opposition à d’autres périodes : on peut les comparer par exemple aux sourcils du Moyen Empire.
Une attention particulière a été portée au reste des détails du visage : les contours des yeux, l’incision soignée de la caroncule, mais aussi et surtout les oreilles, au modelé très travaillé et dont l’ensemble des petits éléments, hélix, anthélix, conque et tragus (PERDU Olivier, ibid., p. 59), ont été minutieusement sculptés. Cette tendance dite « réaliste » (SHUBERT Steven Blake, « Realistic currents in portrait sculpture of the Saite and Persian periods in Egypt », Journal of the Society for the Study of Egyptian Antiquities 19, 1989, p. 27-47 ; ce terme ne signifiant pas tant que l’artiste vise au portrait d’un individu particulier, mais plutôt qu’il multiplie les détails mimétiques pour brouiller la frontière entre êtres vivants et simples statues) apparaît dès la XXVe dynastie. Elle annonce la transition entre la mode archaïsante de la première moitié de la Basse-Époque, qui culmine avec la XXVIe dynastie avec les rois koushites, et l’ « hyper-réalisme » des époques ptolémaïque et romaine (comparer par exemple avec la célèbre statue dite d’Arsinoé II conservée à la Bibliotheca Alexandrina).
Deux œuvres similaires sont conservées au musée Rodin, Co. 787 et Co. 821. Il s’agit de statues en basalte datant de la même époque.
Deux colones de hiéroglyphes sont visibles sur le pilier dorsal.
Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian le 11 septembre 1912.
BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 88, "Tête très mutilée (il ne reste du visage que l’œil droit, une moitié de l’œil gauche et la naissance du nez) d’un personnage coiffé d’une perruque longue. Restes d’un pilier dorsal avec le commencement de deux lignes verticales. Époque saïte, hauteur 22. Basalte."
Donation à l’État français en 1916.
Ce bas-relief fut acheté auprès de l’antiquaire Joseph Altounian qui l’expédia dans un lot d’objets le 31 août 1912 et le décrivit ainsi : « 1 tête granit noir saïte frag 200» (ALT 147, archives musée Rodin).
L’antiquaire Joseph Altounian, écrivait à Rodin du Caire le 10 Août 1912 : « Cher Maître, J’ai l’honneur de vous faire savoir que je viens de rentrer aujourd’hui même au Caire après avoir accompli le voyage dans la Haute-Égypte dont voici les principales étapes. Éléphantine, Abydos, Phylae, Héracleopolis, Sakhara, Memphis, etc., ou j’ai séjourné pour recueillir pour votre collection des fragments de bas-reliefs, granit, calcaire, basalte, bref tout ce que j’ai jugé pouvant vous intéresser. Ce lot renferme 24 pièces des bas-reliefs et des reliefs en creux des grands et des petits, le tout appartenant aux différentes dynasties ayant régné dans les régions que j’ai traversées, plus 19 pièces de fragments en ronde bosse le tout présente la sculpture des meilleures dynasties. » J. Altounian était parti du Caire en juillet 1912, et l’on peut suivre son périple sur son agenda (archives Altunian) : Minieh, Mallawi, Assiout, Abou Tig, Assiout, Sohag, Achmim, Abou Tig, Baliana, Abydos, Baliana, Keneh, Kous, Louxor, Sohag, Achmim, Sohag, Mallawi, Le Caire, où il arriva le 7 août.
Le 28 Août 1912, Altounian écrit au sculpteur : « Cher Maître J’ai l’honneur de vous annoncer que je suis arrivée à Paris depuis quelques jours. Je me suis présenté 77 rue de Varenne mais on m’a dit que vous étiez absent ; jour cela. Je vous adresse la présente à votre adresse à Paris espérant qu’on vous la faira suivre. Donc je vous prie cher Maître de me dire le jour que vous rentrez à Paris afin que je vienne vous soumettre le bordereau avec la nomenclature des objets que je vous ai expédié du Caire.». Le 6 septembre, Altounian recevait de Rodin « la somme de frs 850 (huit cent cinquante francs) comme prêt pour m’aider à dégager les 6 caisses antiques de la Douane ; Monsieur Rodin n’est pas engagé à acheter ce lot d’antiquités s’ils ne lui plaisent pas. Il achètera que ce qu’il lui plaira.». Rodin choisit un grand nombre d’œuvres de ce lot dont la tête Co. 880 et versa à l’antiquaire 5000 francs le 11 septembre 1912.
La tête fut exposée à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.