Fragment de peinture murale

Deux porteurs d'offrandes

Égypte > Dra Abou El-Naga > Tombe de Tétiky (Tombe thébaine 15)

Nouvel Empire > XVIIIe dynastie

H. 41 CM ; L. 35 CM

Peinture sur enduit et mouna

Co. 3481

Comment

State of preservation

L’œuvre est en bon état de conservation. La peinture est néanmoins écaillée à plusieurs endroits et l’enduit support s’est tout à fait effondré sur d’autres.

Description

Ce fragment de peinture sur enduit provient de la tombe de Tétiky, située dans la nécropole thébaine. Maire de Thèbes sous le règne d’Ahmosis, tout premier roi du Nouvel Empire, sa tombe est notamment célèbre pour conserver certaines des plus anciennes représentations de la reine Ahmès-Nefertari, épouse du roi Ahmosis. La tombe est découverte en 1908 par Lord Carnavon et les photographies, dessins et premiers relevés sont réalisés par Howard Carter, le célèbre inventeur de la tombe de Toutankhamon quelques années plus tard.

 

Le fragment, ainsi que deux autres également conservés dans la collection Rodin (Co. 3411 et 3435) consiste en un épais enduit de couleur pâle, nommé mouna, qui reçoit ensuite le décor peint sur fond blanc. La palette des couleurs est particulièrement sobre et celles-ci sont appliquées par simples aplats. Ce mode de représentation doit être comparé avec la grande finesse des détails et des jeux de textures d’autres peintures thébaines légèrement postérieures, comme celles de la tombe de Nebamon (TT 52) conservée au British Museum (inv.no. EA 37977 et suivants). Dans le cas du fragment Co. 3481, on a même la sensation d’un décor inachevé, même si cette impression provient surtout de l’effacement des noirs et des verts qui ont considérablement pâli, supprimant toute indication de détail comme celle des yeux.

 

Le fragment présente deux porteurs d’offrandes. Les deux hommes sont torse nu, vêtus de pagnes courts et arborant une perruque courte, encore distinguable bien que presqu’effacée. Ils sont tous deux tournés vers la gauche, et, par convention, souvent vers l’intérieur de la tombe. Le personnage de droite porte d’une main un panier et de l’autre un objet dont les contours ont disparu. Au vu de la position de sa main, il pourrait s’agir d’une volaille au cou tordu, comme on en possède d’innombrables exemples sur les parois des tombeaux de toutes les périodes de l’histoire égyptienne (par exemple tombe de Metchetchi, Louvre inv.no. E25507-25549). L’homme de gauche, quant à lui, présente de ses deux mains un élément qui doit probablement être identifié comme une patte antérieure de boviné, viande de choix et morceau privilégié pour les offrandes funéraires en particulier.

 

Ces deux personnages s’inscrivaient initialement dans une procession incluant d’autres porteurs et éventuellement porteuses d’offrandes, le tout au sein d’une composition plus large qui, traditionnellement depuis l’Ancien Empire, isuccède à un registre présentant des scènes de boucherie et de fabrication des offrandes. Il faut sans doute aussi imaginer, en bout de procession, le défunt assis, attablé devant un guéridon garni d’offrandes, et souvent accompagné de son épouse et de ses proches. Représenté en grande taille, il embrasse ainsi du regard l’ensemble des offrandes qui lui sont prodiguées et profite directement de son « repas funéraire » vers lequel il tend la main. Au Nouvel Empire surtout, des musiciens et danseurs sont souvent représentés en parallèle de ce type de scène.

 

Les premières figurations de serviteurs apportant des vivres au défunt sont attestées dans les monuments de la IVe dynastie. Dans les tombes de particuliers, et a fortiori dans les grands mastabas de l’élite sociale où les scènes sont particulièrement développées, plusieurs processions de porteurs d’offrandes sont figurées. Elles apparaissent alors comme un hommage des personnes et des entités liées socialement – selon des relations de clientélisme et de dépendance – au propriétaire de la tombe. En effet, tous ces biens proviennent de différents domaines administrés par le défunt, ou encore des possessions royales. Cette obligation de salutation du défunt (nommé nḏ.t-ḥr) avait lieu à l’occasion de « l’offrande invocatoire » (pr-ḫrw), le moment durant lequel les offrandes à disposition du défunt sont énoncées par l’officiant du culte.

 

Les offrandes alimentaires jouent un rôle majeur dans le culte funéraire des défunts, des rois et des particuliers, comme en témoignent les nombreuses mentions dans les textes funéraires, les formules d’offrandes ou encore les représentations stylisées des denrées sur les tables d’offrandes (voir e.g. les objets Co. 939 et Co. 1696 pour des exemples issus de la collection Rodin). Car, au même titre que les vivants, les morts ont besoin de nourriture, de vêtements et d’onguents pour vivre dans l’au-delà. Si les aliments mentionnés et représentés en contexte funéraire semblent être similaires à ceux du régime alimentaire quotidien (même si la nourriture présentée aux morts est fréquemment momifiée, voir IKRAM 2019), ces offrandes sont volontairement placées sous le signe de la surabondance par rapport à l’alimentation réelle.

 

Si le défunt cessait d’être approvisionné par de véritables offrandes alimentaires émanant de sa famille, d’une faveur royale ou des visiteurs de passage, il avait, grâce aux figurations d’offrandes dans sa tombe, une garantie pérenne grâce au rôle performatif qu’assure l’image en Égypte ancienne.

Related pieces

Reliefs Co. 3411 et Co. 3435, provenant de la même tombe.

Inscription

Anépigraphe.

Historic

Acheté par Rodin à l'antiquaire Oxan Aslanian le 24 septembre 1913.

Non inscrit à l’inventaire rédigé par Charles Boreux en 1913.

Donation Rodin à l'Etat français en 1916.

 

Historic comment

Le fragment fut acheté par Rodin à Paris, auprès de l’antiquaire Oxant Aslanian, le 24 septembre 1913, dans un lot de « quatre fresques égyptiennes de la XVIIIe dynastie » parmi seize antiquités en provenance d’Égypte, sans indication précise sur le site de découverte, d’une valeur totale de 1200 francs. Cette date d’acquisition est corroborée par l’absence de description dans l’inventaire de Charles Boreux, achevé à cette date.

 

En 1913, l’intérêt de Rodin pour la peinture antique et la « fresque » en particulier, était des plus vifs. Dès les années 1890-1900, le sculpteur s’intéressa aux recherches de ses contemporains sur les techniques et les matériaux anciens, « antiques » ou exotiques comme le grès et à la pâte de verre. Il fréquenta Puvis de Chavannnes, puis Maurice Denis et les Nabis qui oeuvrèrent à un certain renouveau de la peinture murale. En 1907, Henri Dujardin-Beaumetz, sous-sécrétaire d’État des Beaux-Arts, après avoir visité une exposition de ses dessins à la galerie Bernheim Jeune, chargea le sculpteur de réaliser une fresque pour décorer une salle du séminaire de Saint-Sulpice dans le nouveau musée des artistes vivants, à Paris. La commande officielle ne lui fut passée qu’à la fin de l’année 1911 et resta inachevée. En 1912 et 1913, il étudia ainsi les ressources des techniques de peinture anciennes, a fresco ou a tempera, et fit traduire par les peintres C. H. Charlier, Jeanne Bardey ou Marie Cazin quelques-uns de ses dessins, sur les danseuses cambodgiennes, en particulier, en vue du grand projet. Les exemples conservés montrent que la technique de la fresque au sens strict du terme ne fut pas la seule expérimentée et que l’on peut élargir son intérêt à la peinture murale de manière générale : « La fresque est un travail plus proche de la sculpture que de la peinture ; ce serait l’intermédiaire entre le bas-relief et le tableau, et, la plupart du temps, on la pourrait remplacer par celui-là. Il s’agit surtout de dessiner, de donner des lignes sculpturales, des formes simples, d’où le relief se dégage. Les couleurs sont non seulement unies et peu variées, mais baissées d’un ton ; elles doivent tendre vers la grisaille. Volontiers, je rapprocherais cet art, en raison de son harmonie grandiose, des chœurs de la tragédie antique, par où s’exprimait la voix du peuple, et qui formait à l’action tragique comme un noble décor » Anonyme, « Nouvelles », La construction Moderne, 26 novembre 1911.

Ce goût pour la peinture murale, dans son musée imaginaire, comprend, dans une même filiation, la peinture de l’antiquité, du Moyen-Age et de la Renaissance. La peinture en aplat rappelle sa passion pour les estampes japonaises dont il fut un grand collectionneur. L’arrivée des quatre fragments de peintures égyptiennes, en 1913, s’inscrivait pleinement dans le fil des recherches en cours. Son choix se porta sur des représentations du corps humain, selon ses vœux, vu à la fois de profil et de face, sans perspective, au dessin simplifié. Il fut aussi sensible aux bouleversements des canons de proportions et les échelles différentes utilisées pour figurer les personnages. Les quelques couleurs utilisées sont mates, posées en  aplats et soulignées par le tracé d’un contour.

En août 1915, le sculpteur fit monter trois des quatre fragments par l’ébéniste japonais Kichizo Inagaki, dans des coffrets en bois avec vitre à glissière pour les protéger et les exposer. Ce soin particulier signe l’intérêt qu’il leur porte et désir de les présenter parmi les pièces d’exception à l’hôtel Biron, dans une préfiguration du musée Rodin.

Archives

Facture du 24 septembre 1913, archives musée Rodin, Paris ; chèque n° 92258, Crédit algérien, archives musée Rodin, Paris


 

 

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