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Reliquaire

Paire d'ailes repliées provenant d'un Thot sous sa forme d'Ibis

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE

ÉPOQUE TARDIVE OU ÉPOQUE PTOLÉMAÏQUE > XXVI– XXXIdynastie > 656 - 30 AVANT J.-C.

[voir chronologie]

BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)

H. : 5,8 cm ; L. : 9,7 cm ; Pr. : 18,5 cm 

Co. 656

Comment

State of preservation

L’œuvre présente un bon état de conservation. 

Bien que le métal soit oxydé et ait pris une teinte uniformément verte, tous les détails sont encore clairement visibles. On remarque quelques fissures sur les bords et un léger manque de matière à l’avant. Sur le côté gauche particulièrement et sur une petite zone du côté droit au niveau de la pointe, le métal a perdu sa première couche sur une large partie, une observation des couches inférieures est ainsi rendue possible.

Description

L’œuvre Co. 656 représente la partie supérieure d’un corps d’ibis, des épaules à la pointe des ailes. Modelée à part, elle était rapportée sur le dos d’une figure d’ibis, ou placée sur une momie (voir, pour comparaison l’ibis du Metropolitan Museum of Art de New York 43.2.2. Ce plumage correspond à une grande paire d’ailes repliées, formant un plan continu. Bombé à l’avant, il s’étend progressivement pour s’achever en deux longues pointes, largement séparées l’une de l’autre. Cet espace laissait apparaître la queue de l’oiseau, dont le corps a disparu aujourd’hui.

 

Un décor finement incisé occupe la surface ; il reproduit quatre plumes, longues et larges. Arquées au niveau des épaules, elles s’étirent jusqu’aux pointes. Sur chaque plume, le rachis entouré de ses barbes a été méticuleusement matérialisé. Les extrémités inférieures de ces quatre plumes n’ont pas été représentées ; les extrémités supérieures sont au contraire bien visibles, l’arrondi étant mis en valeur par un espace laissé vierge de tout décor entre chacune. Bien que ce ne soit pas visible à première vue, il est à noter que l’implantation de ces plumes est contre nature. Suivant une orientation horizontale, les rémiges sont implantées au bas des ailes, remontant ainsi vers les épaules au lieu de se diriger vers l’extérieur et l’arrière de l’aile. Cet artifice, qui déconnecte curieusement les plumes de leur ossature, permet de rendre le gonflement des longues barbes qui recouvrent le dos du volatile (sur le cliché d’un ibis sacré saisi en pleine marche, voir GUICHARD Hélène, « Le règne animal au royaume des pharaons », in H. GUICHARD (dir.), Des animaux et des pharaons. Le règne animal dans l’Égypte ancienne, Lens, Musée du Louvre-Lens, Barcelone, Paris, 2014, p. 24, fig. 3). 

Le dessous de l’œuvre est concave. Il n’a reçu aucune finition et ne présente aucun décor. 

 

Il existait deux sortes d’ibis en Égypte, l’« ibis blanc » (ibis aethiopica sive religiosa) et l’« ibis noir » (ibis falcinellus), auxquels Hérodote consacre son chapitre 76. Le premier affiche un plumage entièrement blanc et un bec rose, alors que le second a le cou, la tête, le bec, les pattes et la queue noirs (sur des spécimens d’ibis noirs voir GUICHARD Hélène, « À propos de l’exposition au Louvre-Lens : Des animaux et des pharaons. Le règne animal dans l’Égypte ancienne », BFSE 191-192, 2015, p. 14-15, fig. 3).

 

L’ibis était considéré comme un ami des hommes car il détruisait les chenilles et les sauterelles qui menaçaient les récoltes, mais aussi d’après Hérodote, les serpents ailés venus d’Arabie et les scorpions. Il est étroitement et uniquement associé au dieu Thot, dieu lunaire, maître des « paroles divines » et seigneur d’Hermopolis. Thot, forme divinisée de Djéhouty identifié à Hermès par les Grecs, est le plus important des dieux lunaires. Il possède une personnalité complexe comprenant de nombreuses facettes. Il est à la fois la personnification de la Lune, mais aussi son protecteur, son gardien et parfois son adversaire. L’association à l’ibis se fait ici par la forme de son bec qui évoque le croissant de Lune, ainsi que par son plumage bicolore. Dans le Livre de la Vache céleste, Rê en fait son vizir et son substitut en déclarant : « Tu seras à ma place, mon remplaçant. On dira de toi : Thot, le remplaçant de Rê ». En tant que gardien et protecteur de la Lune, elle-même assimilée à l’œil d’Horus, Thot est « Celui-qui-compte-les-parties-[de-l’œil] » dans ses phases croissante et décroissante. Il possède ainsi des dons de calculateur et de mesureur. Les égyptiens ayant avancé que le pas de l’ibis faisait exactement une coudée, il est alors utilisé comme étalon type et Thot devient « maître de la coudée ». Des statuettes en bronze prennent ainsi la forme d’un ibis couché, ses pattes étirées représentant le signe du bras, idéogramme  utilisé pour écrire une coudée. Les collections du musée Rodin conservent un exemple l’illustrant, Co. 5977.

De par l’observation rigoureuse et minutieuse des phases de la Lune, Thot devient le « savant » par excellence qui fait de lui le maître des écrits et du calame et le patron des scribes. Il établit le cadastre général de l’Égypte, inscrit le nom des rois sur l’arbre iched, légitimant leur accession au trône, et enregistre les résultats de la pesée du cœur. Enfin, il est juge et arbitre entre les dieux, notamment en prenant le rôle de médiateur dans le conflit qui oppose Seth et Horus. 

 

Les innombrables représentations de Thot se limitent à trois types différents. Le plus souvent, le dieu est ibiocéphale. Il peut être également zoomorphe en prenant l’aspect d’un ibis ou d’un babouin assis, second animal sacré du dieu. Il est rare de le rencontrer entièrement anthropomorphe, ou cynocéphale bien que quelques exemples peuvent être cités, notamment dans la sixième heure du Livre de l’Amdouat, face à Nectanébo Ier dans les catacombes de Touna el-Gebel, ou sur la façade du tombeau de Pétosiris sur ce même site. 

Touna el-Gebel est connu pour être le centre culturel de Thot où la cosmogonie hermopolitaine s’est mise en place. On y trouve un ibiotapheion, immense nécropole animale où ibis et babouins y étaient momifiés et inhumés dans des jarres en terre cuite ou dans des cercueils en bois ou en calcaire. 

 

La datation de l’objet est incertaine, à placer vraisemblablement aux époques tardives. Il est à supposer que le plumage Musée Rodin Co. 656 complétait une statue du dieu ou bien était posé sur sa momie, insérée dans un cercueil puis inhumée dans une nécropole animale spécifique. Les reliquaires de l’Antiquité égyptienne sont des objets archéologiques assez bien connus, les cimetières d’animaux sacrés étant nombreux sur le territoire égyptien. Ils comprenaient deux types d’animaux, les « uniques » et les « multiples ». La première catégorie regroupe des animaux choisis, parmi ses congénères et par les prêtres grâce à une statue divine qu’ils manipulaient, pour représenter de son vivant une divinité particulière. Les « uniques » les plus connus sont les taureaux Mnévis et Apis dont la plus ancienne attestation d’inhumation date du règne d’Amenhotep III. Ici, avec l’œuvre Co. 656 il s’agit de l’élément du reliquaire d’un « multiple ». Ces « multiples »n’étaient pas choisis pour leur caractère sacré, mais c’est par les rites que leur était conféréun caractère divin. Les animaux les plus représentés sont les serpents, les chats, les chiens, les ibis et les crocodiles. Ils n’avaient pas de pouvoir à part entière, c’était le dieu qu’ils représentaient à leur mort qui était encensé. Ils devenaient alors un ba de la divinité, acquéraient un rôle de médiateur et devenaient capables de transmettre les doléances de la population. Les reliquaires étaient créés sur demande des dévots et les prêtres se chargeaient d’y insérer l’animal entièrement momifié, soit une partie de sa momie, voire même un paquetage imitant la forme de l’animal. 

Related pieces

Les collections du musée Rodin conservent plusieurs statuettes d’ibis, de têtes ou de pattes d’ibis, Co. 211Co. 776Co. 800Co. 802Co. 2380Co. 2425Co. 5785Co. 5977 et Co. 5994. En revanche, l’œuvre Co. 656 reste unique en son genre. 

Inscription

Anépigraphe. 

Historic

Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.

Donation à l’État français en 1916.

Historic comment

Rodin exposait dans son atelier de la Folie Neufbourg ses tout premiers objets, achetés à la fin des années 1880 ou au début des années 1890. Il en choisit quelques-uns, dont les ailes de bronze, pour accompagner son travail dans l’atelier du dépôt des marbres : « Pour un profane, il ne s’entasse là que des tessons sans valeur ; pour qui sait voir ; là gît la preuve que la représentation de la vie par la main de l’homme n’est pas un mythe. De là sont peut-être sortis l’enfant (torse marbre) et l’oiseau (ailes de bronze) que Rodin montre au grand jour avec tant d’orgueil rue de l’Université. Dans la pièce voisine, avec la même disposition de planchettes, mais avec plus de lumière et moins de heurt, nous entrons dans le royaume du plâtre […]. » (BRAISNE 1894, p. 4).

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