Thot passant

sous sa forme d'ibis

ÉGYPTE > PROVENANCE INCONNUE

BASSE ÉPOQUE > XXVI- XXXe dynastie > 656 - 332 AVANT J.-C.

[voir chronologie]

BRONZE (ALLIAGE CUIVREUX)

H. : 9 cm ; L. : 3,5 cm ; Pr. : 8,6 cm 

Co. 211

Commentaire

Etat de conservation

L’œuvre est en mauvais état de conservation. Le métal est très oxydé mais peu corrodé. L’ibis est acéphale. Les pattes d’origine ont disparu et sont remplacés par des pattes modernes (date du raccord inconnu). Du pied droit d’origine, les doigts et griffes sont conservés, collés à la base rectangulaire en bois sur laquelle la figure d’ibis a été placée. L’animal est parsemé de piqûres importantes et profondes particulièrement sous la queue de l’oiseau, conséquences d’un décapage chimique. 

La tête de l’animal a aujourd’hui disparu. On note des concrétions au niveau de la cassure du cou.

Description

L’œuvre représente un ibis acéphale debout et marchant, la patte gauche en avant. Les formes générales de l’oiseau sont naturelles. Le cou, partiellement conservé, amorce une courbure réaliste. La gorge et la poitrine bombées figurent un oiseau repu. Elles se prolongent sur un ventre particulièrement plat. Le dessous de la queue l’est également. En revanche, le dos de l’animal présente un tracé plus naturaliste. La base du cou à l’avant des épaules est clairement marquée, de même que le contour des ailes en relief. Un décapage chimique, qui aurait été effectué lors d’une restauration non datée, a effacé tout détail d’un plumage qui semblerait avoir recouvert l’œuvre. Les ailes finissent en pointe arrondie sur la queue. Les cuisses d’origine de l’oiseau sont courtes comparativement aux longues pattes, rapportées à une époque indéterminée. On note les restes des doigts et griffes d’origine sur la base en bois. Le pied droit est mieux conservé que le gauche. Il se compose de trois longs doigts, aujourd’hui très détériorés. 

La figure a été placée sur une base en bois contemporaine, légèrement décalée sur la droite par rapport à l’axe vertical. 

 

Il existait deux sortes d’ibis en Égypte, l’« ibis blanc » (ibis aethiopica sive religiosa) et l’« ibis noir » (ibis falcinellus), auxquels Hérodote consacre son chapitre 76 du livre II de son Enquête (voir Hérodote, Histoires, Livre II : Euterpe, in coll. Les Belles Lettres). Le premier affiche un plumage entièrement blanc et un bec rose, alors que le second a le cou, la tête, le bec, les pattes et la queue noirs. Il est impossible de déterminer l’espèce de l’ibis Co. 211. Néanmoins, l’absence d’un décor de plume sur la queue, comme sur l’ibis Co. 776, suggère qu’il s’agit ici d’un ibis blanc. 

 

L’ibis était considéré comme un ami des hommes car il détruisait les chenilles et les sauterelles qui menaçaient les récoltent, mais aussi d’après Hérodote, les serpents ailés venus d’Arabie et les scorpions. Il est étroitement et uniquement associé au dieu Thot, dieu lunaire, maître des « paroles divines » et seigneur d’Hermopolis. Thot, forme divinisée de Djéhouty identifié à Hermès par les Grecs, est le plus important des dieux lunaires. Il possède une personnalité complexe comprenant de nombreuses facettes. Il est à la fois la personnification de la Lune, mais aussi son protecteur, son gardien et parfois son adversaire. L’association à l’ibis se fait ici par la forme de son bec qui évoque le croissant de Lune, ainsi que par son plumage bicolore. Dans le Livre de la Vache céleste, Rê en fait son vizir et son substitut en déclarant : « Tu seras à ma place, mon remplaçant. On dira de toi : Thot, le remplaçant de Rê ». En tant que gardien et protecteur de la Lune, elle-même assimilée à l’œil d’Horus, Thot est « Celui-qui-compte-les-parties-[de-l’œil] » dans ses phases croissante et décroissante. Il possède ainsi des dons de calculateur et de mesureur. Les égyptiens ayant avancé que le pas de l’ibis faisait exactement une coudée, il est alors utilisé comme étalon type et Thot devient « maître de la coudée ». On retrouve souvent des statuettes en bronze d’ibis couchés pour que les pattes représentent le signe du bras qui était utilisé pour écrire une coudée. Les collections du musée Rodin conservent un exemple l’illustrant, Co. 5977.

De par l’observation rigoureuse et minutieuse des phases de la Lune, Thot devient le « savant » par excellence qui fait de lui le maître des écrits et du calame et le patron des scribes. Il établit le cadastre général de l’Égypte, inscrit le nom des rois sur l’arbre iched, légitimant leur accession au trône, et enregistre les résultats de la pesée du cœur. Enfin, il est juge et arbitre entre les dieux, notamment en prenant le rôle de médiateur dans le conflit qui oppose Seth et Horus. 

 

Les innombrables représentations de Thot se limitent à trois types différents. Le plus souvent, le dieu est ibiocéphale. Il peut être également zoomorphe en prenant l’aspect d’un ibis ou d’un babouin assis, second animal sacré du dieu. Il est rare de le rencontrer entièrement anthropomorphe, ou cynocéphale bien que quelques exemples peuvent être cités, notamment dans la sixième heure du Livre de l’Amdouat, face à Nectanébo Ier dans les catacombes de Touna el-Gebel, ou sur la façade du tombeau de Pétosiris sur ce même site. 

Touna el-Gebel est connu pour être le centre culturel de Thot où la cosmogonie hermopolitaine s’est mise en place. On y trouve un ibiotapheion, immense nécropole animale où ibis et babouins y étaient momifiés et inhumés dans des jarres en terre cuite ou dans des cercueils en bois ou en calcaire. L’œuvre Co. 211 représentant une figure de reliquaire, il est possible qu’elle provienne de ce site. 

 

Les reliquaires sont des objets archéologiques assez bien connus, les cimetières d’animaux sacrés étant nombreux sur le territoire égyptien. Ils comprenaient deux types d’animaux, les « uniques » et les « multiples ». La première catégorie regroupe des animaux choisis, parmi ses congénères et par les prêtres grâce à une statue divine qu’ils manipulaient, pour représenter de son vivant une divinité particulière. Les « uniques » les plus connus sont les taureaux Mnévis et Apis dont la plus ancienne attestation d’inhumation date du règne d’Amenhotep III. Ici, avec l’œuvre Co. 211 il s’agit du reliquaire d’un « multiple ». Ces « multiples » n’étaient pas choisis pour leur caractère sacré mais c’est par les rites de leur mise à mort, leur momification et les prières récitées à cet instant que leur était conféré un caractère divin. Les animaux les plus représentés sont les serpents, les chats, les chiens, les ibis et les crocodiles. Ils n’avaient pas de pouvoir à part entière, c’était le dieu qu’ils représentaient à leur mort qui était encensé. Ils devenaient alors un ba de la divinité, acquéraient un rôle de médiateur et devenaient capables de transmettre les doléances de la population. Les reliquaires étaient créés sur demande des dévots et les prêtres se chargeaient d’y insérer l’animal entièrement momifié, soit une partie de sa momie, voire même un paquetage imitant la forme de l’animal. Ces « meurtres » étaient pratiqués cachés du regard de la population car la loi égyptienne condamnait à mort toute personne ayant tué même accidentellement un animal. Quoiqu’il en soit, ils étaient courants afin de subvenir aux besoins des commanditaires. Au fil du temps, les commandes devenant de plus en plus nombreuses, certaines bêtes étaient ainsi élevées dans le seul but de servir à leur mort d’objet de dévotion.

 

Les figures d’ibis sont des objets relativement nombreux. En voici quelques exemples :

Musée du Louvre, Paris : inv. n° E2411.

Museo egizio de Turin : inv. n° C.1015 et C.1011.

Metropolitan Museum of Art, New York : inv. n° 04.2.462.

Brooklyn Museum : inv. n° 86.226.19

 

Œuvres associées

Les collections du musée Rodin conservent plusieurs statuettes d’ibis en bronze, Co. 776Co. 2380Co. 2425 qui ne figure que la tête de l’oiseau, et Co. 5785. Malheureusement, aucune de ces œuvres n’est complète. 

Inscription

Anépigraphe. 

Historique

Acquis par Rodin entre 1893 et 1904.

BOREUX 1913 : Meudon,  atelier  de peinture, vitrine 11, 400, "Ibis en bronze, il manque la tête, les pattes ont été refaites. Long. 8 cent. ½. Estimé vingts frs."

Donation à l’État français en 1916.

Commentaire historique

L'objet était exposé en 1913 dans la vitrine 11 de l'atelier de peinture, à Meudon.

Rodin aimait le montrer à ses visiteurs : « Voici un ibis, un de ces petits bronzes dont l'Égypte a donné de si merveilleux échantillons : il n'y a pas une plume, mais il y a l'ensemble de toutes ces plumes dans ce corps nerveux monté sur ces deux grandes pattes, et cependant regardez comme il marche, regardez comme il va voler! Ah! Ces gens là étaient vrais!... (RODIN Janvier-février 1904, p. 16). Propos qu'il élargira plus tard dans un autre article : « Voici un ibis, un de ces petits bronzes dont l'Égypte a donné de si merveilleux échantillons : il n'y a pas une plume, mais il y a l'ensemble de toutes les plumes dans ce corps nerveux monté sur ces deux grandes pattes, et pourtant regardez comme il marche, regardez comme il va voler ! Ah ces gens-là étaient vrais !... De façon différente, certainement, mais ils l'étaient tous : les Étrusques sont plus sombres, les Grecs ont donné plus de douceur dans l'ombre, les Égyptiens et les Assyriens sont plus sauvages : ih ! les figures assyriennes ! Elles sont effrayantes comme des tigres » (RODIN octobre 1909,p. 497-498). Le sculpteur fit photographier l'objet de manière isolée (musée rodin, Ph. 2707).

L'oiseau a conservé son socle en bois ancien, probablement antérieur à l'achat par Rodin et portant sur une étiquette l'inscription suivante : « Ibis / Oiseau consacré au dieu Thot » et sur une autre le numéro « 195». La première fut probablement collée par un ancien propriétaire de l'objet, apportant sur ce cartel sa connaissance égyptologique. La seconde pourrait être le numéro d'ordre d'une vente aux enchères ou du registre de l'antiquaire.

 

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