Roi Thoutmosis II

Partie inférieure d'une statue

Égypte > provenance inconnue

Nouvel Empire > XVIIIe Dynastie (1550-1295 av. J.-C.) > règne de Thoutmosis II

[voir chronologie]

Granitoïde gris-vert

H. 26,7 cm ; L. 11,4 cm ; P. 14,6 cm

Co. 963

Commentaire

Etat de conservation

Ce qui subsiste de l’œuvre est bon état. Le fragment de statue se compose lui-même de deux fragments jointifs qui permettent de restituer l’image d’un homme debout. Seules une partie du pilier dorsal et la jambe droite, du genou à la cheville, sont conservées. La jambe gauche a disparu. On constate une fissure en arc de cercle sur le côté gauche, dans la continuité d’une cassure. Il manque quelques éclats sur les arêtes du pilier dorsal, sur le tibia et le genou de la jambe droite.

On peut observer plusieurs taches rondes et ovoïdes réparties sur le côté droit du pilier dorsal, sur la jambe droite et sur la cassure supérieure. Relativement grasses, ces taches correspondent peut-être à de la cire d’éclairage, répandue accidentellement sur l’objet.

Une patine noirâtre recouvre par endroit la partie gauche du pilier dorsal et la face latérale gauche.

 

Description

Très peu d’éléments subsistent de cette statue qui représentait un homme debout, dans l’attitude traditionnelle de la marche apparente, jambe gauche en avant. Cette jambe a disparu mais la réserve de pierre à l’arrière, qui permettait son mouvement, est conservée. Cette réserve de pierre correspond également à la face latérale gauche du pilier dorsal. L’attitude de la marche est classique dans l’art égyptien, tant pour les rois que pour les particuliers. Cependant, l’inscription du pilier dorsal permet d’identifier la figure comme étant celle du roi Thoutmosis II.

Le costume n’est pas préservé mais la jambe droite étant dénudée à partir du genou, on peut supposer que le souverain était vêtu d'un pagne court,comme par exemple, le pagne-chendjyt, pagne à languette centrale. Ce costume traditionnel se retrouve dans l’iconographie royale durant toute l’époque pharaonique.

La rotule du genou, subtilement modelée dans la pierre, est naturaliste ; l’arête du tibia est à peine marquée. La musculature des jambes est donc peu prononcée.

 

Le roi étant en position de marche apparente, la statue correspond à une représentation classique de roi vivant, qui pouvait être placée dans un temple dédié à une divinité.

Il existe cependant des statues qui représentent Thoutmosis II les deux jambes jointes, en attitude de fête jubilaire. Ces statues, exécutées après la mort du souverain, témoignent d’un culte posthume très particulier dont Thoutmosis II a fait l’objet. Luc Gabolde expose le culte rendu au souverain défunt, dont la disparition soudaine a peut-être suscité « des pratiques conjuratoires et un culte mémorial tout à fait hors du commun » (GABOLDE 2005 p. 174-181). Sur la quinzaine de statues attestées de Thoutmosis II, trois le représentent gainé dans un costume de fête-Sed. Or, son règne court, dont la durée est encore débattue, ne lui a pas laissé le temps de célébrer de fête jubilaire. La statue du musée Rodin Co. 963 est citée dans la liste des statues attestées du roi (GABOLDE 2005 p. 178, note 165, N° 12 (sous le numéro de la Donation Rodin à l’État français DRE 89)).

Inscription

Une colonne de beaux hiéroglyphes, délimitée de chaque côté par une ligne incisée, est gravée en creux sur le pilier dorsal ; la lecture se fait de droite à gauche. Elle donne une partie de la titulature du roi : son nom de Roi de Haute et de Basse Égypte et son nom de Fils de Rê, chacun dans un cartouche.

La titulature royale canonique, qui se met en place progressivement au cours de l’époque protodynastique et de l’Ancien Empire, comprend cinq noms précédés des titres d’Horus (identifiant le roi au dieu Horus), de Celui des Deux Maîtresses (Nekhbet et Ouadjet, respectivement déesses tutélaires de Haute et de Basse Égypte), d’Horus d’or (dont la signification exacte est inconnue), de Roi de Haute et de Basse Égypte (en égyptien, littéralement « Celui du jonc et Celui de l’abeille », symboles de la Haute et de la Basse Égypte ; on parle aussi de « nom de couronnement ») et enfin de Fils de Rê (par lequel le roi revendique sa parenté avec le dieu Rê ; il est parfois appelé « nom de naissance » dans la littérature égyptologique).

Le nom d’Horus du roi est généralement placé dans un serekh, motif qui représente une façade de palais. Les noms de Fils de Rê et de Roi de Haute et de Basse Égypte, les plus fréquents pour désigner les souverains, sont insérés dans un cartouche. Ce sont les seuls véritables noms du roi : le premier est le nom personnel qu’il portait avant d’accéder au pouvoir, le second est le nom de règne qu’il adopte le jour de son avènement. Les autres noms ont une valeur idéologique : ils sont une annonce du programme politique idéal que le roi entend mettre en place (sur la personnalité, multiple, du roi d’Égypte, voir BONHÊME-FORGEAU 1988).

 

La titulature complète de Thoutmosis II est connue : l’Horus « Taureau victorieux, puissant de vigueur », Celui des Deux Maîtresses « Celui dont la royauté est divine », l’Horus d’or « Puissant par ses manifestations », le Roi de Haute et de Basse Égypte « La manifestation de Rê est grande », le Fils de Rê « Thoutmosis (Celui qui est né de Thot) aux apparitions glorieuses parfaites ». Cette titulature insiste sur la puissance du pharaon et sur sa nature divine.

 

La titulature – partielle – du roi est suivie d’une formule d’eulogie qui lui souhaite toute vie, toute immuabilité et tout pouvoir. La formule d’eulogie accompagne traditionnellement la titulature royale ; cette courte proposition, souvent réduite à une simple abréviation graphique, attire sur le souverain toutes sortes de bénédictions : la vie, la stabilité, la santé, la protection, la force…

 

Historique

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian le 11 septembre 1912.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 89, « Fragment (réduit à la jambe droite) d’une statue royale en granit gris. Le pilier dorsal donne le bas du cartouche prénom et le cartouche nom de Toutmosis II. Haut max (des 2 morceaux réunis) : 26 cent. [Estimé à] 250 Fr. »

Donation Rodin à l’État français 1916.

Commentaire historique

Ce fragment fut acheté auprès de l’antiquaire Joseph Altounian qui l’expédia dans un lot d’objets le 31 août 1912 et le décrivit ainsi :  « 1 jambe beau modelé granit vert 40 » (ALT 147, archives musée Rodin).

 

L’antiquaire Joseph Altounian, écrivait à Rodin du Caire le 10 Août 1912 : « Cher Maître, J’ai l’honneur de vous faire savoir que je viens de rentrer aujourd’hui même au Caire après avoir accompli le voyage dans la Haute-Égypte dont voici les principales étapes. Éléphantine, Abydos, Phylae, Héracleopolis, Sakhara, Memphis, etc., ou j’ai séjourné pour recueillir pour votre collection des fragments de bas-reliefs, granit, calcaire, basalte, bref tout ce que j’ai jugé pouvant vous intéresser. Ce lot renferme 24 pièces des bas-reliefs et des reliefs en creux des grands et des petits, le tout appartenant aux différentes dynasties ayant régné dans les régions que j’ai traversées, plus 19 pièces de fragments en ronde bosse le tout présente la sculpture des meilleures dynasties. » J. Altounian était parti du Caire en juillet 1912, et l’on peut suivre son périple sur son agenda (archives Altunian) : Minieh, Mallawi, Assiout, Abou Tig, Assiout, Sohag, Achmim, Abou Tig, Baliana, Abydos, Baliana, Keneh, Kous, Louxor, Sohag, Achmim, Sohag, Mallawi, Le Caire, où il arriva le 7 août.

 

Le 28 Août 1912, Altounian écrit au sculpteur : « Cher Maître J’ai l’honneur de vous annoncer que je suis arrivée à Paris depuis quelques jours. Je me suis présenté 77 rue de Varenne mais on m’a dit que vous étiez absent ; jour cela. Je vous adresse la présente à votre adresse à Paris espérant qu’on vous la faira suivre. Donc je vous prie cher Maître de me dire le jour que vous rentrez à Paris afin que je vienne vous soumettre le bordereau avec la nomenclature des objets que je vous ai expédié du Caire.». Le 6 septembre, Altounian recevait de Rodin « la somme de frs 850 (huit cent cinquante francs) comme prêt pour m’aider à dégager les 6 caisses antiques de la Douane ; Monsieur Rodin n’est pas engagé à acheter ce lot d’antiquités s’ils ne lui plaisent pas. Il achètera que ce qu’il lui plaira.». Rodin choisit un grand nombre d’œuvres de ce lot dont le fragment Co.963 et versa à l’antiquaire 5000 francs le 11 septembre 1912.

 

Le fragment fut exposé à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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