Ptah-Sokar-Osiris

au nom d'un défunt

Égypte > Provenance inconnue

Les derniers temps > Époque tardive > XXVIe dynastie

[voir chronologie]

Bois polychromé

Statue : 40,2 CM : L. 8,7 CM : P. 7,3 CM

Socle : H. 5,6 CM : L. 9,7 CM : P. 11 CM

Co. 663

Commentaire

Etat de conservation

Assez bon état. Le bois porte quelques rares traces d'une ancienne attaque d'insectes xylophages au revers du socle. La polychromie est lacunaire par endroit et parfois masquée par l'encrassement et l'empoussièrement de la statue.

Description

Cette statuette dite "Ptah-Sokar-Osiris" est un élément caractéristique du mobilier funéraire, particulièrement à l'époque tardive, que l'on retrouve dans les inhumations de tradition égyptienne. Elle représente une divinité momiforme résultant du syncrétisme de trois dieux : Ptah (présent ici en sa qualité de Ta-tenen, en relation avec la terre), Sokar et Osiris (divinités étroitement liées  à la renaissance du défunt dans l'au-delà). La statue assure la résurrection du défunt et la protection de son corps dans l'au-delà.

 Cette statuette, montée sur un socle ancien qui n'est probablement pas son socle d'origine, se dresse sur une petite base carrée ; la silhouette, momiforme, est assez fine et respecte des proportions convenables. Le visage, très large et à la construction presque triangulaire, semble être légèrement relevé, renforçant ainsi l'allure élancée de la statue.

La statuette ne comporte aucune cavité, ce qui est habituellement l'usage pour ce type d'objet. Cette cavité était destinée à abriter soit un fragment de papyrus, soit un simulacre de momie fait d'argile et de graines germées, qui garantissaient par  leur présence symbolique et magique, la résurrection du défunt tel un Osiris. Il est très vraisemblable que, malgré l'absence de cavité, cet objet conserve cet aspect "magique". 

 

La polychromie a été appliquée sur une base préparatoire blanche.

Son visage est peint en ocre jaune (couleur qui, se substituant à la feuille d'or recouvre généralement le visage du dieu) ; les détails tels que les yeux, les sourcils, le collier de barbe sont tracés en noirs et blancs. Les oreilles sont modelées en relief. La perruque est bleue.

L'absence de barbe postiche est originale pour ce type de représentation.

Le corps est peint en rouge et  couvert d'un motif de résille bleue rythmée de points jaunes. Le traitement de la sculpture est plutôt soigné comme le témoigne le galbe du postérieur et des mollets.

Une colonne de hiéroglyphes cursifs se développe de la poitrine jusqu'au bout des pieds, peints en noir sur fond blanc. Cette inscription est très abimée et difficilement lisible : "Dire les paroles par Osiris Khentyimentyou, le grand maître de Ro-Sétaou, qu'il accorde une offrande invocatoire […]". Cette formule dd-mdw met dans la bouche du défunt une invocation à Osiris. Elle a pour finalité d'assurer au défunt la protection du dieu, et ainsi sa résurrection.

A l'arrière, le corps est dépourvu de pilier dorsal.

 

La mortaise et la zone dépourvue de polychromie visibles sur le sommet du crâne indiquent qu’à l’origine la statue aurait était coiffée d'une couronne de type shouty, composée d’un disque solaire et de cornes de bélier surmontés de deux plumes d’autruche.

 

Le socle était initialement peint en rouge sur sa face supérieure, sans doute agrémenté d'un motif en résille bleu.
Les faces latérales portent un décor polychrome (rouge, bleu, noir, blanc) assez bien conservé, fait de serekh représentant des façades de palais.

 

Le socle n'est pas dans son état original : il a été tronqué de plus de la moitié de sa longueur initiale. La coupe, en biais, est visible à l'arrière de la statue. Celle-ci a donc été remontée sur le socle et présentée retournée ; habituellement, la longueur du socle s'étend toujours devant la divinité.

D'autres éléments mettent en doute l'authenticité de cet assemblage. La mortaise présente dans le socle est disproportionnée par rapport au tenon taillé sous la base de la statue. La fixation est aujourd'hui assurée par une vis moderne. Un enduit blanc de restauration, identique à celui utilisé pour masquer la vis ainsi qu'une ancienne fêlure du bois sur la statue, a été appliqué en large débordement pour combler le joint entre les deux parties.

 

D'après l'étude typologique menée par M. Raven, cette statuette relève du type IV A, qui se caractérise par un corps peint en rouge, l'absence de collier et le visage recouvert de feuille d'or ou bien peint en jaune, et date de la fin de la XXVIe dynastie.

Historique

Acheté par Rodin au sculpteur Antoine Bourdelle le 24 décembre 1906.

BOREUX 1913 : Meudon / atelier  de peinture / vitrine 10, 397, "Statuette osiriforme sur son socle. Une ligne verticale d'hiéroglyphes, donnant un nom difficile à lire. Bois peint. Haut. 42 cent. Estimé cinquante francs."
Donation Rodin à l’État français en 1916.

Commentaire historique

Cet objet était exposé du vivant de Rodin dans la vitrine 10 de l'atelier de peinture à Meudon. Il provient probablement d'Antoine Bourdelle, autre collectionneur et marchand. Ce sculpteur est assez peu connu pour cette activité, révélée par ses archives et en particulier son cahier de compte et un carnet titré « Objets libres », conservés au musée Bourdelle ainsi que ses lettres à Rodin, conservées au musée Rodin (Antoine Bourdelle, Auguste Rodin, Correspondance (1893-1912), Édition de Colin Lemoine et Véronique Mattiussi, Paris, Collection Art de Artistes, Gallimard, 2013.)

 

Le sculpteur se fournissait chez des antiquaires, ou plutôt des brocanteurs, tout au long de la route le menant vers son sud natal, Dijon, Clermont-Ferrand, Nîmes, Marseille, plus exceptionnellement en Suisse. A son retour à Paris, il revendait ces objets à différentes relations, dont Rodin dès 1897, avec un pic en 1906 : « Pour votre superbe Musée, j’ai trouvé chez des bric-à–brac et Antiquaires de Provence des Antiques, des bronzes, des pierres, des marbres, du fer, du bois, splendides, qui enrichiraient beaucoup ou un peu votre collection. » (Lettre de Bourdelle à Rodin, 7 novembre 1906, archives musée Rodin, BOU.843). En novembre, il écrivit encore de Marseille : « Mon cher Maître, J'ai reçu cinq cents francs. J'en ferai le mieux possible dans l'intérêt de votre musée. J'ai vu et acquis de si charmants morceaux. Je fais des démarches aujourd'hui pour un grand chapiteau de marbre. J'ai trouvé de vieux indos-chinois. [...] J'ai vu des splendides photos de sculptures égyptiennes chez Mr Foucard, l'éminent égyptologue qui vous fût présenté pendant que vous dessiniez Sisowath à Marseille. Croyez l'idée de ce monarque que l'épervier sacré défend ! à bientôt et bien dévoué. Bourdelle. » (Lettre de Bourdelle à Rodin, archives musée Rodin, BOU.843)

Le 4 novembre, Bourdelle ajoutait : Cher Maître, Je termine et je vais rentrer et venir vous voir = tous les soirs après le travail je vais, pour un de mes amis de Marseille, voir les Antiquaires. J'ai trouvé de très belles choses. Bronzes, terres, marbres, bois, Antiques, gothiques, Renaissance, Indou, Louis XIV et XV, [...]. (Lettre de Bourdelle à Rodin, archives musée Rodin, BOU.843)

Le 24 novembre, Bourdelle chantait son amour de l’art égyptien qu’il considérait comme un instrument de mesure de la beauté : « Mon cher Maître/ Quitté Marseille par un soleil bleu./ Rentrons par l’auvergne = vais revoir un moulage de sculpture gaulois belle comme de l'Égyptien./ meilleures amitiés cher Maître/ E. A. Bourdelle »(Carte postale de Bourdelle à Rodin, archives musée Rodin, BOU.843).

Le 12 décembre 1906, Rodin invitait Bourdelle à venir le voir à Meudon : « Mon cher Bourdelle, Je serai à Meudon vendredi toute la journée, mais si vous pouvez venir de très grand matin, nous serons plus tranquilles. Cordialement à vous et mes hommages à Madame. A. Rodin. (Lettre de Bourdelle à Rodin, archives musée Rodin, BOU.843).

Bourdelle recensait dans un carnet les d’objets égyptiens destinés à Rodin : « 24 décembre / apporté à M. Rodin / Statue Egypt bois peint / 50. Francs / non payé (Carnet Bourdelle, p. 1, archives musée Bourdelle).

 

 

Les prix étaient très bas et les objets de faible qualité. Bourdelle fit-il de ce commerce un gagne-pain, lui qui travaillait alors pour vivre comme praticien de Rodin ? Sans doute l’envisageait-il davantage comme un lien d’amitié avec un artiste dont il souhaitait se rapprocher en satisfaisant son obsession collectionneuse. Rodin lui demanda en 1906 de cesser ses envois pour consacrer son argent à sa sculpture (Lettre de Auguste Rodin à Antoine Bourdelle, 17 décembre 1906, Archives musée Bourdelle, Correspondance, p. 204).  Au sein de la collection de Rodin, les œuvres acquises de Bourdelle apparaissent comme un lot exogène, petits objets sans valeur et parfois en mauvais état. Elles ne trouvaient aucun équivalent dans les objets achetés par Rodin chez les antiquaires, mais peuvent être reliées aux petits antiques exposés dans les vitrines du musée Bourdelle. (B. Garnier, "Le language de l'antique, Antoine Bourdelle, Auguste Rodin, Anatole France, Elie Faure", Bourdelle et l'antique. Une passion moderne, Paris, 2017, p. 30-35)

 

 

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