Vizir Ânkhosorkon

Statue debout

Égypte >  Akhmim ou Abydos (probablement)

Les derniers temps > Troisième Période Intermédiaire > XXIIe dynastie thébaine > règne de Takélot III

[voir chronologie]

Calcaire

H. 28,50 cm ; L. 14,60 cm ; P. 12 cm

Co. 3386 

Commentaire

Etat de conservation

La statue est très fragmentaire et son état de conservation est moyen. Elle présente de nombreuses cassures. La tête, la partie supérieure du torse (au-dessus du nombril) et du pilier dorsal manquent. La jambe gauche est lacunaire sous le pagne. Celle de droite n’est conservée que jusqu’au milieu du jambier inférieur. Au niveau des bras, seules les attaches sont encore visibles. La statue présente également plusieurs fissures – qui semblent dues à un réseau de veinules – et éclats de tailles variables, notamment au niveau du torse, du pagne, du genou droit et du pilier dorsal (face inscrite et profils), ainsi que des griffures.

L’état actuel de l’extrémité de la main droite semble curieusement correspondre non pas à une cassure mais à un travail inachevé : le modelé de la main, qui devrait être conservé, laisse place à une épaisseur de pierre lisse sur le dessus. C’est précisément de ce côté que l’exécution du pagne est restée en cours, la ceinture n’ayant pas encore été gravée.

 

Par endroits, la statue présente une teinte ocre jaune qui résulte de la terre d’enfouissement. 

Description

Cette statue en calcaire représente un homme debout, dans l’attitude traditionnelle de la marche, la jambe gauche portée en avant. Les empreintes des avant-bras et des mains indiquent que les bras étaient plaqués le long du corps. Il est vêtu d’un pagne-chendjyt court, à plis simples finement sculptés, dont le pan droit est croisé sur le gauche. Le costume est maintenu en place par une ceinture large et lisse, sans trace d’inscription ou d’ornement, d’où dépasse l’attache du pagne, une petite languette rectangulaire oblique figurée à gauche du nombril. Ce pagne-chendjyt, à l’origine vêtement royal, devient, dès l’Ancien Empire, un élément ponctuel de la garde-robe des particuliers, avant qu’ils se l’approprient de manière plus fréquente au Moyen Empire (VANDIER 1958, p. 106, 108, 249). Aux époques tardives, il est de loin le costume court le plus répandu dans la statuaire (PERDU 2012, p. 46).

 

La silhouette du dignitaire est svelte et athlétique. La taille est à peine cintrée. L’abdomen a reçu un traitement particulièrement soigné. Les flancs sont creusés pour mettre en valeur le bas de l’abdomen, légèrement bombé. Ce dernier est traversé verticalement par un profond sillon, la ligne blanche, qui descend jusqu’à l’orifice ombilical, signifié par un trou circulaire. Le pagne très court met en valeur l’allure puissante des jambes. Sur la jambe droite, la seule encore conservée, la rotule et la crête tibiale sont modelées avec soin. Dans son traitement, la musculature de la jambe rappelle ce qui avait cours à l’Ancien Empire et que l’on retrouve notamment sur la statue fragmentaire du musée Rodin Co. 1118.

 

Dans le dos, le sculpteur semble avoir omis de marquer les bords de la ceinture entre l’arrière de l’avant-bras droit et le pilier dorsal.

 

Les statues d’hommes debout, bien qu’elles constituent une des catégories les mieux représentées dans la statuaire égyptienne en général, sont rares à la XXIIe dynastie, époque à laquelle peut être rattachée la statue Co. 3386. Les deux seuls autres exemples connus sont des usurpations de statues du Moyen Empire (Walters Art Museum de Baltimore, inv. 22.203 : BRANDL 2008, p. 218-219 et pl. 122 (Dok. U-1.1) ; et Metropolitan Museum of Art de New York, inv. 68.101 : BRANDL 2008, p. 224-225 et pl. 125 (Dok. U-1.4)). Les particuliers de la XXIIe dynastie, dite « dynastie libyenne », semblent préférer d’autres typologies, notamment les statues-cubes ou les statues agenouillées, plus propices à l’expression de leur dévotion envers les divinités dans les sanctuaires desquelles les sculptures sont déposées. Ce retour à une typologie ancienne fait de la statue du musée Rodin une œuvre exceptionnelle et un témoin de premier ordre de la tendance archaïsante qui caractérise la fin de l’époque libyenne et, plus tard, les XXVe et XXVIe dynasties (cf. PERDU 2012, p. 298 (et n. 9-10) ; BRANDL 2016, p. 18). 

La statue qui offre le meilleur parallèle se trouve non pas dans le domaine privé mais dans la sphère royale. Elle représente le roi Takélot III, sous le règne duquel Ânkhosorkon fit carrière : elle a été sculptée dans du calcaire, figure le souverain dans une attitude et un costume similaires et provient également d’Abydos (British Museum de Londres, EA 37326 : PORTER, MOSS 1937, p. 65 ; LEAHY 1990, p. 171 ; JANSEN-WINKELN, IS II 2007, p. 319-320 (30.5) ; BRANDL 2008, p. 267 et pl. 9a (VK-1.4) ; BRANDL 2012, p. 86 (K-1.3), pl. 19.1). Cependant, l’œuvre est bien loin d’atteindre la qualité d’exécution de la statue du musée Rodin.

Œuvres associées

La partie inférieure de cette statue, comprenant socle, pieds en quinconce (attitude de la marche), cheville droite et base du pilier dorsal, est conservée au Musée égyptien du Caire, sous le numéro d’inventaire JE 91300. Ce fragment a été acquis par Urbain Bouriant à Akhmim en 1885-1886 pour l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO), mais le texte suggère plutôt Abydos comme lieu d’origine (BOURIANT, 1887, p. 91, n°70 ; GAUTHIER, 1916, p. 138-139, n°15 ; GAUTHIER, 1921, p. 223-225, n°26 ; PORTER, MOSS, 1937, p. 25 ; LEAHY, 1990, p. 171-172 ; EL-SABBAN, 2003, p. 37-42 ; LODOMEZ, 2005, p. 76, 85-86). 

On trouve la première mention du raccord entre les fragments des musées Rodin et du Caire en 2005, dans la publication de Guy Lodomez (LODOMEZ, 2005, p. 76-86). C’est néanmoins son mentor, le professeur Herman de Meulenaere, qui a établi ce rapprochement en 2002. 

Inscription

Le pilier dorsal comporte deux colonnes de texte hiéroglyphique, se lisant de haut en bas et de droite à gauche, sans lignes verticales de séparation. Les signes sont très finement gravés en creux dans le calcaire.

Le départ de trois colonnes de texte, sans lignes verticales de séparation, est encore visible dans la réserve de pierre entre la jambe gauche et le pilier dorsal. Le texte se lit de haut en bas et de gauche à droite : les signes, tournés dans la direction où s’avance Ânkhosorkon, sont orientés en fonction du personnage.

Les textes du pilier dorsal et de la réserve de pierre se poursuivent sur le fragment conservé au musée du Caire (JE 91300). Ce fragment comporte également deux autres inscriptions, disposées horizontalement, qui partent du milieu de la face avant du socle et se développent sur les côtés jusqu’au milieu de la face arrière du socle ; l’une se lit de droite à gauche (1) et l’autre de gauche à droite (2). Les signes, gravés en creux, sont plus petits que sur le pilier dorsal.

 

Les inscriptions du pilier dorsal donnent les nom et titres du personnage. La statue représente le « fils royal » et « vizir » Ânkhosorkon, haut fonctionnaire de l’administration égyptienne. Il servait sous un roi Takélot, qu’il faut certainement identifier à Takélot III. En effet, Ânkhosorkon serait le même personnage que le prophète d’Amon, grand intendant et vizir homonyme mentionné sur le cercueil de son petit-fils, le prophète de Montou Naménekhamon, découvert à Deir el-Bahari et attribué à la fin de la XXVe dynastie (Boston, Museum of Fine Arts, inv. 94.321 = anc. 72.4824 : PORTER, MOSS, 1964, p. 649-650 ; BIERBRIER, 1984, p. 82-84, pl. XVIII ; LEAHY, 1990, p. 172 ; LEAHY, 1992, p. 147-148 (A.1-2) ; EL-SABBAN, 2003, p. 39-40, n. A et C). Sa généalogie indique qu’Ânkhosorkon était le fils du « directeur de la porte des étrangers » Djedptahiouefankh (JANSEN-WINKELN Karl, IS III, 2007, p. 361-362 (52.25)), qui était lui-même le fils d’Osorkon III et le frère de Takélot III. Ânkhosorkon était donc petit-fils et neveu de rois (cf. LODOMEZ, 2005, p. 84-85 ; PAYRAUDEAU, 2014, p. 179, 370, 587, n°249). Le nom basilophore d’Ânkhosorkon (« Que vive le roi Osorkon ») fait sans doute référence à son grand-père, Osorkon III, sous le règne duquel il a dû voir le jour (LODOMEZ, 2005, p. 86 ; PAYRAUDEAU, 2014, p. 383). Ce nom apparaît à la XXIIe dynastie (RANKE, 1935, p. 87, n°3) ; il se trouve parfois sans que le nom du roi soit placé dans un cartouche (RANKE, 1935, p. 63, n°12).

 

L’association des titres « directeur des contrées méridionales (litt. « pays étrangers du Sud ») » et « fils royal », ce qu’il n’était pas stricto sensu, renvoient à la fonction de vice-roi de Kouch, en égyptien « fils royal de Kouch » (consulter GAUTHIER, 1921, p. 179-238). Cette fonction apparaît au tout début de la XVIIIe dynastie avec l’annexion de la Nubie, alors appelée Kouch (Soudan actuel). Le vice-roi de Kouch s’apparentait à un gouverneur de province dont la principale fonction était de maintenir l’ordre en Nubie afin de garantir la sécurité des routes commerciales et d’assurer l’accès aux mines d’or de la région. Les titres d’Ânkhosorkon témoignent ainsi du maintien de la fonction de vice-roi de Kouch pendant la Troisième Période Intermédiaire. Il succéda sans doute à Pami, qui exerçait lui aussi conjointement les fonctions de vice-roi de Kouch et de vizir sous le règne d’Osorkon III ou le début du règne de Takélot III (ZIBELIUS-CHEN, 1989, p. 340 ; LEAHY, 1990, p. 172 ; LODOMEZ, 2005, p. 82-84 ; PAYRAUDEAU, 2014, p. 370). Cependant, pour Frédéric Payraudeau, la réapparition du titre dans les titulatures des dignitaires de Haute-Égypte (attestés à Abydos, Thèbes, Edfou, El Kab, Éléphantine-Assouan) de la seconde moitié de la XXIIe dynastie est sans doute à mettre en relation avec des liens croissants avec la Nubie. Les « fils royaux de Koush » de cette époque ne seraient alors plus les administrateurs de la Nubie, « mais bien plutôt des chargés de relations extérieures basés peut-être à Éléphantine », puisque plusieurs porteurs du titre y sont attestés (PAYRAUDEAU, 2014, p. 370). Ânkhosorkon est, à ce jour, le dernier « fils royal (de Kouch) » connu (LODOMEZ, 2005, p. 86).

 

Le texte de la réserve de pierre, à la gauche du personnage, bien qu’incomplet, témoigne du goût des anciens Égyptiens pour les calembours : à la fin de la troisième colonne, la chèvre acéphale, signe qui se lit khen et sert à écrire le mot « Résidence » (khenou), est représentée littéralement « dans » (en égyptien m) le signe du bâtiment. L’ensemble permet un jeu de mot par homophonie : ce groupe sert à écrire à la fois la préposition « à l'intérieur de », qui se lit m-khenou, et le mot « dans la Résidence », khenou. Il faut donc comprendre l’expression comme « dans la Résidence ». Cette « Résidence » désigne peut-être le temple du « grand dieu » mentionné en début de colonne.

 

Le socle est gravé de deux lignes de texte symétriques. Le début et la fin de ces inscriptions, respectivement au milieu de la face avant et au milieu de la face arrière, présentent un signe mis en facteur commun : dans le premier cas, le signe sou qui sert à écrire le mot « roi » dans la formule de ny-sout hétep ; dans le second cas, le signe neb de l’expression neb imakh, « titulaire d’une pension ».

Il s’agit de formules d’offrandes dans lesquelles le scribe mélange la formule de l'Ancien Empire avec celle qui apparaît au début de la XIIe dynastie. Le mouvement archaïsant amorcé à la fin de la période libyenne transparaît ainsi également à travers le texte.

Il n’est pas seulement question d’offrandes alimentaires : le texte témoigne aussi du désir d’Ânkhosorkon de bénéficier d’un enterrement dans « le "Bel Occident", dans le Rosétaou d’Abydos ». Rosétaou, que l’on peut traduire par « lieu de halage », revêt une forte connotation funéraire : le mot désigne à l’origine une vaste zone désertique qui s’étend de Giza à Saqqara et englobe les différentes nécropoles de la région memphite (COCHE-ZIVIE, 1984, col. 304-306). Il est parfois utilisé comme nom pour d’autres nécropoles, comme c’est le cas ici : il est question de la nécropole d’Abydos. Cette formule semble indiquer que la statue provient originellement d’Abydos. S’agit-il d’une statue funéraire, disposée dans la tombe d’Ânkhosorkon ? Ou bien s’agit-il d’une statue placée dans un petit cénotaphe érigé sur la « Terrasse du Grand Dieu », à proximité du sanctuaire d’Osiris, voire déposée au sein même du temple du dieu à Abydos ? C’est vers cette dernière solution que semble se tourner Anthony Leahy (LEAHY, 1990, p. 171-172).

 

Historique

Acquis par Rodin entre 1893 et 1913.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 5, "Statue fragmentaire (depuis le milieu du buste, jusqu'à la moitié de la jambe droite, la jambe gauche manque, ainsi que les bras, le pilier dorsal donne le nom d'un fonctionnaire du Roi. Calcaire silicieux. Haut. Trente centim. Estimé trois cents francs."

Donation Rodin à l’État français 1916

Commentaire historique

L'oeuvre était exposée à l'hôtel Biron en 1913, dans une préfiguration du futur musée.

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