Roi Ptolémée III Évergète I

Égypte > provenance inconnue

Époque hellénistique et romaine > Ptolémées > Ptolémée III Évergète Ier (246-222 av. J.-C.)

[voir chronologie]

Calcaire ; badigeon

H. 85 CM : L. 32,3 CM : P. 39,1 CM

CO. 1414

Commentaire

Etat de conservation

La statue est fragmentaire et son état de conservation est moyen. La tête, les bras, les jambiers inférieurs (sous le pagne) et l’extrémité de la languette centrale du pagne manquent. En outre, la surface de la pierre présente de nombreux éclats, de tailles variables, notamment au niveau de la poitrine et du pilier dorsal : les colonnes d’inscriptions ont beaucoup souffert (la colonne de droite est particulièrement lacunaire). Certaines cavités dans la pierre correspondent à la perte d’inclusions de fossiles. L’épiderme montre également de multiples épaufrures.

 

La statue présente une coloration générale jaunâtre, due à la fois à la couleur du calcaire et à la terre d’enfouissement. Les traces d’un badigeon ocré subsistent dans les plis du pagne. 

Description

La statue représente le roi Ptolémée III Évergète Ier grandeur nature. Le souverain se tient debout, dans l’attitude traditionnelle de la marche, c'est-à-dire la jambe gauche en avant. Les parties subsistantes des attaches des bras indiquent qu’ils étaient plaqués le long du corps, les poings fermés ou serrés sur quelque objet. Le roi est vêtu d’un pagne-chendjyt court et moulant, aux plis fins, resserrés et réguliers, dont le pan gauche est croisé sur le droit ; il est maintenu à la taille par une ceinture simple non décorée figurée en relief.

À la base du cou, une longue empreinte de forme rectangulaire révèle que le souverain devait être pourvu d’une barbe postiche, à moins qu’il ne s’agisse d’un pendentif. En effet, d’après Christophe Thiers, le souverain portait peut-être autour du cou une figurine de la déesse Maât, soulignant ainsi sa qualité de juge suprême (THIERS, 1998, p. 259 ; l’auteur croit déceler les traces de la plume qui orne habituellement la tête de la divinité). L’absence de retombées du némès sur la poitrine indique que le roi portait un autre type de coiffe. Il s’agit d’une des rares statues royales ptolémaïques à ne pas être coiffée du némès (STANWICK, 2000, p. 193-194 ; pour les différentes coiffes et couronnes portées par les statues royales d’époque lagide, cf. STANWICK, 2000, p. 110-114).

 

La silhouette est svelte. Sur le torse, on constate à la fois une bipartition verticale et une tripartition horizontale assez subtiles, permettant de mettre en évidence une musculature bien présente mais discrète. Le torse est étroit et élancé, avec des pectoraux haut placés, ce qui permet au thorax d’être plus allongé qu’aux périodes précédentes. Les pectoraux sont fermes, sans être exagérément musclés, et arrondis ; ils constituent un premier renflement dans la tripartition horizontale. En-dessous, un second renflement marque la partie inférieure de la cage thoracique. Le ventre, troisième élément de la tripartition, est rond et délicatement bombé. Le nombril s’inscrit dans le creux d’une dépression en forme de goutte qui accentue la profondeur de l’orifice ombilical et prend place dans le prolongement de la ligne blanche abdominale qui marque la bipartition verticale.

La taille n’est que légèrement cintrée, ce qui a deux conséquences : d’une part, la ligne de la silhouette n’est pas cassée, le passage du buste aux hanches est fluide et, d’autre part, la démarcation entre le thorax et l’abdomen est un peu atténuée. La vue de profil nous permet de signaler un fessier rebondi, une singularité propre aux statues d’époque lagide, tant chez les souverains que chez les particuliers (PERDU, 2012, p. 98).

 

Le souverain est adossé à un profond pilier dorsal de part et d’autre duquel son corps est visible. On constate un traitement doux des chairs du dos et une taille légèrement cintrée, comme sur la face antérieure. La ceinture est marquée et les plis du pagne sont finement sculptés.

 

À l’heure actuelle, il s’agit de la seule statue royale attribuable avec certitude à Ptolémée III Évergète Ier (THIERS, 1998, p. 263-264, n. 11). Le traitement des pectoraux et du ventre, ronds et légèrement proéminents, s’inscrit dans la lignée de la statuaire de son prédécesseur, Ptolémée II Philadelphe (comparer en particulier avec la statue du Musée grégorien égyptien du Vatican, inv. 22681 : BOTTI, ROMANELLI, 1951, p. 24-25, 137, pl. XXII-XXIII, n°32 ; STANWICK, 2000, p. 73, 189-191, 194, 334-336, pl. 1, n°A3). Si le traitement des chairs est proche de celui de l’époque de Ptolémée II, il s’inscrit également dans la lignée de la tradition artistique de la XXXe dynastie, elle-même fortement influencée par la production statuaire de l’époque saïte (XXVIe dynastie), suivant le courant néo-archaïque qui a cours chez les derniers souverains indigènes d’Égypte (PERDU, 2012, p. 196 et 198). Ainsi, on retrouve dans le fragment de statue du musée Rodin une certaine ressemblance avec le torse de Nectanébo Ier, conservé au musée grégorien égyptien du Vatican (inv. 13 : BOTTI, ROMANELLI, 1951, p. 10-11, pl. XII, n°21), mais dont il se dégage plus de puissance du fait d’un traitement plus accentué des volumes. Plus proche encore est le modelé d’un autre torse de Nectanébo Ier, lui aussi dans les collections du musée Rodin (Co. 1420).

On retrouve aussi dans la statue du musée Rodin l’attitude, le vêtement et le mélange de bipartition et tripartition mis à l’honneur dans la statuaire saïte.

 

Selon Christophe Thiers, cette statue était dédiée au culte du souverain lagide dont étaient en charge les prêtres de la 5e phylé, instituée par le synode de Canope (THIERS, 1998, p. 263 ; sur le décret de Canope et le culte dynastique lagide, voir la traduction et le commentaire de la stèle du Musée du Caire CG 22186 proposés par le Projet Rosette). Nous ignorons cependant la localisation du lieu de culte d’où provient la statue du musée Rodin. 

Inscription

Le pilier dorsal est gravé de trois colonnes d’inscriptions hiéroglyphiques en creux divisées par des lignes de séparation ; la lecture s’effectue de droite à gauche.

Le protocole royal partiellement conservé dans la première colonne de texte (noms d’Horus, de Nebty et d’Horus d’Or) permet d’attribuer avec certitude la statue à Ptolémée III Évergète Ier (THIERS, 1998, p. 259). Les sections manquantes ont pu être restituées grâce à de nombreux parallèles.

Le reste du texte consiste en formules d’eulogie qui insistent sur la prédestination royale. En effet, le texte mentionne le roi en ces termes : « conscient alors qu’il était dans la matrice, (avant qu’)il ne sortît de l’œuf, (le) Shaï s’est distingué sur sa brique de naissance, élu du dieu qui ne fait qu’un avec l’infini ». L’association voire l’assimilation des souverains lagides puis romains au dieu Shaï semble être une innovation de son règne (QUAEGEBEUR, 1975, p. 111, 114-115 ; THIERS, 1998, p. 263). Nous pouvons noter que l’écriture du nom du dieu Shaï à l’aide du seul signe de la pustule fait partie des « graphies exceptionnelles », suivant l’inventaire établi par Jan Quaegebeur (QUAEGEBEUR, 1975, p. 277, L3).

La fin de la troisième colonne (« Horus vaillant, protecteur dans les sanctuaires, dont la statue est consacrée lors [des fêtes…] ») mentionnait peut-être le temple de la ville où était célébré le culte au pharaon Ptolémée III Évergète Ier  et d’où provenait la statue du musée Rodin. 

Historique

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian le 11 septembre 1912.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 79, "Torse d’un roi dont le buste est nu. Le bas du corps est vêtu de [schéma du pagne] retenu autour de la taille par une ceinture. La tête, les bras et les jambes manquent. Pilier dorsal portant une inscription de 3 lignes. Calcaire compacte. Haut : 85 centim. Bien que ce morceau soit très abîmé, les modelés en sont très intéressants. (Estimé à) 1800 Fr."

Donation Rodin à l’État français 1916

Commentaire historique

Cette statue fut achetée auprès de l’antiquaire Joseph Altounian qui l’expédia dans un lot d’objets le 31 août 1912 et le décrivit ainsi :  « 1 Torse d’homme plus grand que nature calc. uni brillant jaunâtre. Il est nu jusqu’à la ceinture port. des inscrip. hyerogl au dos, devant appartenir à un famille royale de la XVIIIe ou XIXe dynastie sculpture d’une très bonne école, malgré l’amputation des bras et de la tête le modelé du buste est intacte. 2500 » (ALT 147, archives musée Rodin).

 

L’antiquaire Joseph Altounian, écrivait à Rodin du Caire le 10 Août 1912 : « Cher Maître, J’ai l’honneur de vous faire savoir que je viens de rentrer aujourd’hui même au Caire après avoir accompli le voyage dans la Haute-Égypte dont voici les principales étapes. Éléphantine, Abydos, Phylae, Héracleopolis, Sakhara, Memphis, etc., ou j’ai séjourné pour recueillir pour votre collection des fragments de bas-reliefs, granit, calcaire, basalte, bref tout ce que j’ai jugé pouvant vous intéresser. Ce lot renferme 24 pièces des bas-reliefs et des reliefs en creux des grands et des petits, le tout appartenant aux différentes dynasties ayant régné dans les régions que j’ai traversées, plus 19 pièces de fragments en ronde bosse le tout présente la sculpture des meilleures dynasties. » J. Altounian était parti du Caire en juillet 1912, et l’on peut suivre son périple sur son agenda (archives Altunian) : Minieh, Mallawi, Assiout, Abou Tig, Assiout, Sohag, Achmim, Abou Tig, Baliana, Abydos, Baliana, Keneh, Kous, Louxor, Sohag, Achmim, Sohag, Mallawi, Le Caire, où il arriva le 7 août.

 

Le 28 Août 1912, Altounian écrit au sculpteur : « Cher Maître J’ai l’honneur de vous annoncer que je suis arrivée à Paris depuis quelques jours. Je me suis présenté 77 rue de Varenne mais on m’a dit que vous étiez absent ; jour cela. Je vous adresse la présente à votre adresse à Paris espérant qu’on vous la faira suivre. Donc je vous prie cher Maître de me dire le jour que vous rentrez à Paris afin que je vienne vous soumettre le bordereau avec la nomenclature des objets que je vous ai expédié du Caire.». Le 6 septembre, Altounian recevait de Rodin « la somme de frs 850 (huit cent cinquante francs) comme prêt pour m’aider à dégager les 6 caisses antiques de la Douane ; Monsieur Rodin n’est pas engagé à acheter ce lot d’antiquités s’ils ne lui plaisent pas. Il achètera que ce qu’il lui plaira.». Rodin choisit un grand nombre d’œuvres de ce lot dont la statue Co.1414 et versa à l’antiquaire 5000 francs le 11 septembre 1912.

 

La statue fut exposée, couchée sur une sellette de sculpteur, dans le vestibule de l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux le décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français. Elle y fut photographiée par Eugène Druet eaprès mai 1913, avec le torse Co.1420 (Ph.04097, 06034).

 

 

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