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Roi Nectanébo Ier - Torse

Statue debout

Égypte > Delta  > Samanoud  (probablement)

Les derniers temps > Basse Époque > XXXe dynastie > règne de Nectanébo Ier (380-365 av. J.-C.)

[voir chronologie]

Quartzite

H. 105 cm ; L. 45,5 cm ; P. 37,8 cm

Co. 1420

Commentaire

Etat de conservation

Sur la face avant, la statue est assez bien conservée malgré son état fragmentaire : la tête, la retombée gauche du nemes, les bras et la partie inférieure des jambes (à mi-pagne) manquent mais la surface demeure lisse et présente peu de traces d’éclats, à l’exception des zones d’arrachement et de la bordure de la retombée droite du nemes.

Au dos, l’omoplate gauche est lacunaire tandis que le catogan du nemes est très endommagé. Le pilier dorsal n’apparaît qu’en négatif : il a été totalement arraché. L’arrière du pagne est parsemé d’éclats. Toutes ces parties altérées permettent d’observer la pierre en détail : son aspect rubané, avec des bandes d’un ocre presque rouge, ainsi que de très nombreuses inclusions de minéraux de natures diverses, deux caractéristiques du quartzite ou grès silicifié (DE PUTTER, KARLSHAUSEN, 1992, p. 96)

 

Le quartzite est fortement teinté par la terre d’enfouissement orangée ; quelques traces de cette terre ferrugineuse sont encore visibles sur la statue.

Description

Cette statue, un peu plus grande que nature à l’origine, représente le roi Nectanébo Ier debout. En dépit de l’état lacunaire des membres inférieurs, on peut voir qu’il était représenté dans l’attitude classique de la marche apparente, la jambe gauche portée en avant comme l’indique la position de la cuisse gauche, légèrement avancée par rapport à la cuisse droite. Les traces d’arrachement des bras montrent qu’ils étaient plaqués le long du corps et liés au torse par une réserve de pierre ; les poings étaient sans doute fermés. Cette attitude, attestée depuis l’Ancien Empire, permet au roi d’exprimer sa pleine maturité physique et de renvoyer l’image d’une monarchie forte.

 

Le souverain porte sur la tête le nemes, une coiffe royale traditionnelle attestée depuis l’Ancien Empire, entièrement confectionnée en étoffe généralement rayée. Elle se caractérise par deux retombées de tissu, de part et d’autre du cou, et un catogan à l’arrière de la tête. Sur la statue, les retombées du nemes, dont seule la droite est encore visible, sont totalement lisses ; le catogan semble également avoir été lisse. Le roi est vêtu du pagne-chendjyt, lisse dans le cas présent mais habituellement plissé, maintenu à la taille par une ceinture figurée en léger relief et ornée d’une inscription. Cette ceinture ne semble pas avoir été matérialisée dans le dos.

 

Le torse, dénudé, est étiré en longueur, la cage thoracique et les hanches sont étroites. La musculature est présente mais demeure subtile. Deux légers renflements sur la poitrine indiquent des pectoraux ronds, aux mamelons marqués en relief. Deux autres renflements, qui occupent toute la largeur du torse et sont séparés par une ligne de dépression horizontale au niveau de la taille, permettent de distinguer le bas du thorax et la moitié supérieure de l’abdomen. La fourchette sternale n’apparait pas mais un sillon à peine perceptible part de la ligne des pectoraux et se prolonge vers le nombril en s’accentuant.

Nous sommes face à un exemple un peu timide du modelé du torse mis en place à la XXVIe dynastie et repris par la statuaire de la XXXe dynastie. La musculature y est indiquée par des renflements et des dépressions dans la pierre qui permettent de distinguer pectoraux et abdominaux en une bipartition verticale (sillon plus ou moins net et profond qui va de la fourchette sternale au nombril) et une tripartition horizontale (deux sillons placés respectivement sous la poitrine et au bas de la cage thoracique). Si la bipartition est déjà bien en place avant la dynastie saïte, suivant une mode archaïsante, la tripartition apparaît au début de la XXVIe dynastie. Les deux modes de découpage du torse peuvent alors se combiner sur une même œuvre, côtoyant une production statuaire où la tripartition commence à dominer. Après la XXVIIe dynastie, on trouve encore des œuvres mêlant bipartition et tripartition, notamment à la XXXe dynastie. (PERDU, 2012, p. 60-61).

 

Plusieurs statues figurant Nectanébo Ier et inscrites à son nom nous sont parvenues. Nous pouvons notamment signaler un torse en basalte, vestige d’une statue du roi debout brisée au niveau du cou, des bras et au-dessus des genoux. Ce torse, qui mesure aujourd’hui 70 cm de hauteur, a été découvert à Samanoud (Sébennytos, dans le Delta) par le général Vial lors de l’expédition d’Égypte puis offerte à Bonaparte ; il est aujourd'hui conservé au musée du Louvre (E 25492 ; PORTER, MOSS, 1934, p. 44 ; JOSEPHSON, 1997, pl. 3c ; Bonaparte et l’Égypte, 2008, p. 264-265, n°235). Cette statue représentait le roi, grandeur nature, dans l’attitude de la marche. La statue du Louvre présente des proportions similaires à celle du musée Rodin, avec un torse étiré en longueur et une cage thoracique étroite. En revanche, le modelé est différent. Sur la statue E 25492, la fourchette sternale est indiquée par une dépression qui se prolonge jusqu’au nombril pour signifier la ligne blanche ; des renflements importants indiquent les pectoraux arrondis et lisses et les muscles de la ceinture abdominale.

 

La statue de Nectanébo Ier peut également être rapprochée de son colosse en calcaire d’Hermopolis, dans la même attitude (musée du Caire JE 87298 : cf. MYŚLIWIEC, 1988, p. 70 (1) ; JOSEPHSON, 1997, p. 8, pl. 3b). La silhouette de la statue du musée Rodin est légèrement plus svelte et plus allongée, peut-être à cause de la différence d’échelle. La cage thoracique du colosse d’Hermopolis est, elle aussi, étroite. Comme sur la statue du musée Rodin, la bipartition est moins prononcée que sur la statue du Louvre – la fourchette sternale n’est pas apparente – mais la tripartition est bien nette. Les pectoraux sont plus clairement définis, avec des mamelons marqués en relief : ils évoquent les statues de l’Ancien et du Moyen Empire, toujours dans la veine archaïsante chère à la XXXe dynastie.

Notons par ailleurs que le règne de Nectanébo Ier est marqué par la réapparition du type de la statue colossale, délaissé sous les dynasties précédentes, ce dont témoignent le colosse d’Hermopolis mais aussi la statue du musée Rodin (FORGEAU, 2018, p. 95 et n. 158).

 

Sur les statues du musée du Louvre et du musée Rodin, le nombril est marqué par un petit trou circulaire logé dans une dépression en forme de goutte, dans le prolongement de la ligne blanche abdominale, accentuant ainsi la profondeur de l’orifice ombilical.

 

Dans les trois cas (musée Rodin Co. 1420, musée du Louvre E 25492 et musée du Caire JE 87298), le rapport entre la largeur du buste au niveau des pectoraux et la largeur de la taille, toujours cintrée, est le même (1,2). Cependant, le traitement de la taille est différent. S’il est quasiment identique pour les statues du Louvre et du Caire, en forme de sablier, la statue du musée Rodin laisse poindre les os du bassin : le traitement est presque anguleux, la ligne de la silhouette est moins fluide, suivant une tendance de la statuaire du IVe siècle avant J.-C. amorcée à la fin de la période saïte (PERDU, 2012, p. 60). C’est du côté de la petite statuaire que nous trouvons le meilleur parallèle. Le musée du Louvre possède dans ses collections un torse en calcaire de Nectanébo Ier, identifié par l’inscription sur sa ceinture, d’une dizaine de centimètres de hauteur (Louvre E 22752 ). Le souverain est figuré debout, dans l’attitude de la marche, mais la représentation a été volontairement tronquée : il n’y a ni tête, ni bras, ni jambes au-dessus des genoux. Peut-être s’agissait-il d’un modèle de sculpteur (LIEPSNER, 1982, n. 68 et 132). Là encore, le torse est très allongé et étroit ; le modelé doux rend compte des chairs plus que de la musculature. Les os du bassin sont légèrement saillants, provoquant une rupture dans la fluidité de la ligne de la silhouette.

 

En revanche, la finition de la statue du musée Rodin montre davantage de similitudes avec celle du colosse d’Hermopolis (Caire JE 87298). Sur ces deux œuvres, les mamelons sont sculptés en relief tandis qu’ils ne sont pas visibles sur la statue de Sébennytos (Louvre E 25492). Les rayures des retombées du nemes et les plis du pagne, figurés sur la statue du Louvre, sont absents sur le colosse du Caire et la statue du musée Rodin. Cela est peut-être dû à la nature et la couleur plus claire des pierres employées (respectivement le calcaire et le quartzite), qui devaient être originellement peintes.

 

À l’arrière, un pilier dorsal rectangulaire, aujourd'hui arraché, a été sculpté dans le prolongement du catogan. Il devait comporter une inscription hiéroglyphique en colonnes.

 

La statue du musée Rodin, de par son matériau et ses dimensions imposantes, était sans doute destinée à être placée dans l’enceinte d’un temple, dont l’emplacement devait être précisé par l’inscription du pilier dorsal.

 

L’égyptologue Campbell Cowan Edgar, inspecteur des antiquités dans le Delta, a signalé, dans une publication de notes de 1911, avoir vu à Samanoud un torse de statue qu’il attribue alors à Nectanébo II. Le fragment, qui mesure environ 1 m de hauteur, a été réalisé en pierre du Gebel Ahmar (quartzite). On lui a dit qu’il avait été rapporté de Mohalla el-Kobra, une ville proche de Samanoud. Cette statue porte sur la ceinture une inscription, retranscrite par Edgar mais illisible par endroits. Il est ainsi fait mention du roi Nectanébo Ier (d’après les cartouches publiés par Edgar, et non Nectanébo II comme il le pensait), du dieu Anhour (Onouris)-Chou et de la divinité Mehtet ( ?) (EDGAR, 1911, p. 96 ; nous remercions vivement Annie Forgeau de nous avoir signalé cette précieuse publication). La disposition est identique à celle de la statue du musée Rodin et le texte est similaire.

Il s’avère que Samanoud, ancienne Sébennytos (métropole du XIIe nome de Basse-Égypte), est la ville d’où est originaire Nectanébo Ier, fondateur de la XXXe dynastie. Elle comporte un temple dédié au couple divin local – le dieu guerrier Anhour, mieux connu sous la forme hellénisée Onouris, et la déesse lionne Méhyt – ainsi qu’au dieu Chou. À l’emplacement du temple, et dans un périmètre plus étendu, ont été découverts des vestiges aux noms de Nectanébo Ier, Nectanébo II, Philippe III Arrhidée, Alexandre II Aegos (Alexandre IV) et Ptolémée II Philadelphe (EDGAR, 1911, p. 90-96 ; PORTER, MOSS, 1934, p. 43-44). La statue signalée par Edgar vient donc sans nul doute de ce temple.

 

Nous savons par ailleurs que des gisements de quartzite sont connus dans deux endroits spécifiques en Égypte : le gisement du Gebel Ahmar, situé dans la banlieue orientale du Caire et les gisements situés sur la rive occidentale du Nil, au sud d’Assouan (Gebel Tingar, Gebel Goulab…). S’il est difficile de déterminer la provenance du matériau lorsqu’il présente une teinte brunâtre par un examen à l’œil nu, la teinte rouge violacée caractériserait le quartzite provenant du Gebel Ahmar (DE PUTTER, KARLSHAUSEN, 1992, p. 96-97), ce qui correspond à la statue du musée Rodin.

 

Les dimensions de ce torse, la pierre utilisée et les inscriptions de la ceinture incitent à rapprocher, voire à identifier, la statue mentionnée par Edgar à celle achetée par Auguste Rodin. Si tel est bien le cas, le sculpteur a dû en faire l’acquisition peu de temps après l’inspection d’Edgar, entre 1911 et 1913.

Bien que de tailles différentes, les statues du musée Rodin Co. 1420 et du Louvre E 25492 formaient peut-être une paire, l’une en pierre claire et l’autre en pierre sombre. Il n’est pas surprenant que Nectanébo Ier ait dédié plusieurs statues à la divinité principale de la ville dont il était originaire.

Œuvres associées

Cet objet peut être rapproché d’une autre œuvre des collections du musée Rodin, le relief Co. 1408, dont la datation est un peu plus tardive. Ce fragment de paroi de temple représente le dieu Anhour (Onouris) suivi de la déesse Méhyt à tête léonine et provient sans doute du sanctuaire dédié à ces divinités à Sébennytos. 

Inscription

La ceinture du pagne est gravée d’une inscription hiéroglyphique donnant une partie de la titulature du souverain. Elle se développe de part et d’autre d’un signe ânkh central. La dureté du quartzite et les inclusions minérales, qui ont certainement gêné la gravure des signes, ainsi que l’état de conservation du texte, rendent le déchiffrement difficile par endroits.

 

Le nom de fils de Rê (à gauche) et le nom de roi de Haute et de Basse-Égypte (à droite) de Nectanébo Ier sont tous deux inscrits dans un cartouche. Pour chacun, il est précisé qu’il est aimé d’une divinité, respectivement Mehtet ou Meht(y)t (?) et Anhour (Onouris)-Chou. Dieu combattant d’origine libyenne devenu fils de Rê, Onouris est particulièrement vénéré à This/Thinis (près d’Abydos, en Haute-Égypte) et Sébennytos/Samanoud (dans le nord du Delta). Associé à Chou, il est le dieu qui supporte le ciel. Il a pour parèdre la déesse Méhyt, déesse lionne de Thinis et de Sébennytos.

 

Il est tentant de considérer que le nom de la divinité mentionnée dans l’inscription, lu Mehtet ou Meht(y)t ( ?), correspond à une graphie fautive de Méhyt. Il est également possible que le nom Méhyt soit correctement inscrit et que l’état de conservation du texte nous incite à lire un second t (X1) au lieu du hiéroglyphe de l’œuf (H8). Cette graphie du nom de la déesse avec l’œuf pour déterminatif est bien attestée sur des blocs provenant du temple d’Onouris-Chou à Samanoud ; elle y est par ailleurs dite « fille de Rê et maîtresse de Tcheb-netcher (Sébennytos) », deux épithètes que nous pouvons restituer sur la ceinture du pagne de Nectanébo Ier. La séquence sur les blocs est complétée par les épithètes « l’Œil de Rê, la maîtresse du ciel, la souveraine de tous les dieux » (EDGAR, 1911, p. 92-93 ; MEFFRE, 2017-2018, p. 237).

 

L’inscription gravée sur la ceinture de la statue du musée du Louvre E 25492 présente la même disposition et un contenu semblable au texte de la statue du musée Rodin, mais avec une inversion des noms de fils de Rê et de roi de Haute et Basse-Égypte. Le roi se déclare, là aussi, « aimé du dieu Anhour » et « aimé de la déesse Metet ( ?) », peut-être une graphie fautive de Méhyt.

 

Historique

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian en mai 1913.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 81 « Torse [illisible] analogue au n°79 (= Co. 1414) mais en granit ( ?). Il est plus grand. La retombée droite de la nemset royale [illisible]. En revanche le dos est tellement dégradé qu’on ne peut même pas dire si le monument comportait un pilier dorsal. Sur la ceinture est gravée la légende de [cartouches] ( ?) Nectanébo II. Haut 1 mètre Larg 45 cent. (Estimé à) 3000 Fr. »

Donation Rodin à l’État français 1916.

Commentaire historique

La statue fut exposée, sur une caisse, le long du mur entre deux fenêtres, dans le vestibule de l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux la décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français. Elle y fut photographiée par Eugène Druet après mai 1913, avec le torse Co.1414 (Ph.04097, 06034).

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