Statue naophore du général Oudjahorresnet, dit Neferibrênebpehety

Égypte > Mit Rahina/Memphis

Basse Époque > XXVIe dynastie > Règnes de Psammétique II et Apriès

[VOIR CHRONOLOGIE]

H. : 49,6 cm ; L. : 21,5 cm ; Pr. : 23,6 cm

Grauwacke (?)

Co. 1194

Comment

State of preservation

L’œuvre est fragmentaire. Seule la partie supérieure de la statue est ici conservée et présente des manques importants : la tête, la moitié droite de la poitrine, les bras et la majeure partie du pagne sont perdus. Toutefois, un fragment important de la partie inférieure, comprenant la base, le bas des jambes, la partie inférieure du vêtement et la moitié droite du naos, est aujourd’hui conservée au Kunsthistorisches Museum de Vienne (= KHM ÄS 5774). Malgré quelques éclats et éraflures, l’état de surface du fragment conservé au musée Rodin est bon. De possibles traces de polychromie très discrètes sont encore visibles par endroits, notamment du rouge sur certains des hiéroglyphes gravés sur le pilier dorsal.

Description

La partie supérieure de la statue, conservée au musée Rodin, représente un torse d’homme dont les bras, le long du corps, se portaient légèrement vers l’avant – les réserves de pierre correspondantes sont encore en partie préservées – afin de présenter devant lui un naos. Le personnage est appuyé sur un pilier dorsal inscrit de hiéroglyphes gravés dans le creux, qui précisent notamment son nom, son surnom et ses fonctions et qualités.

 

L’essentiel de la partie inférieure de cette statue est aujourd’hui conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne, où elle est enregistrée sous le numéro d’inventaire KHM ÄS 5774 (ROGGE 1992, p. 64-71). Le raccord entre les deux fragments a été repéré dès 1966 (DE MEULENAERE 2002, p. 6-7, no. 14 ; Id. 1991, p. 246-269) ; la suite des colonnes de textes préservées sur le fragment de Vienne permet de s’en assurer. La partie conservée à Vienne permet de restituer le vêtement du personnage, un pagne long plissé à devanteau, maintenu en place à l’aide d’une ceinture lisse.

 

C’est également ce raccord qui a permis de préciser l’attitude du personnage et de rattacher cette pièce au type des statues naophores. Variante du type théophore où le personnage présente devant lui la statuette d’un dieu, ces statues figurent un personnage présentant devant lui un naos contenant l’image d’une divinité. En l’occurrence, pour la statue Co. 1194, il s’agissait probablement du dieu memphite Ptah, d’après l’inscription puisque l’image est en grande partie perdue.

 

Les inscriptions, en colonnes sur le pilier dorsal ainsi qu’en lignes sur la base conservée à Vienne, consistent essentiellement en des formules d’offrandes dédiées au dieu Ptah-Sokar et précisant le nom, le surnom, la filiation et les titres du propriétaire du monument. On trouve aussi, sur la réserve de pierre située sous le naos, une autre représentation du propriétaire de la statue, bras levés, soutenant l’image divine et son contenant (KLOTZ 2014, p. 320-321). D’autres monuments inscrits au nom du même personnage, Oudjahorresnet dit Neferibrênebpehety, sont connus : un bassin à libations en calcaire conservé au musée du Louvre (inv.no. E18838, anciennement Musée Guimet D2, MORET 1909, p. 130-134), un monument du même type en granite (PM² IV, 49), ainsi qu’un fragment d’une autre statue trouvée à Tell el-Maskhouta, dans l’est du Delta (NAVILLE 1888, p. 40).

 

Ptah, dieu tutélaire de Memphis, est aussi rapidement assimilé à Sokar, protecteur de la nécropole dans cette même région, lui-même assimilé à Osiris du fait de ses prérogatives funéraires : Ptah-Sokar-Osiris emprunte l’iconographie de ces deux derniers avatars et est donc une divinité momiforme (représentée enveloppée dans un linceul), très populaire dans la région de Memphis, tout particulièrement à partir du Nouvel Empire. De fait, la statue du musée Rodin provient effectivement de cette région, puisque le fragment de Vienne a été observé sur le site de Memphis au XIXe siècle  (BRUGSCH 1855, p. 68-69 (II)).

 

La datation de cette statue est permise principalement par la présence, dans l’inscription du pilier dorsal, de deux cartouches royaux, aux noms de Haa-ib-rê (l’un des noms de règne du roi Apriès) et de son prédécesseur Nefer-ib-rê (Psammétique II). La lecture du premier cartouche, proposée par Herman de Meulenaere (1991, p. 246) est toutefois sujette à caution dans la mesure où la majeure partie du nom royal a disparu. En revanche, le second cartouche fait en fait partie du surnom (en égyptien le « beau nom ») de ce personnage, surnommé « Neferibrê-nebpehety », c’est-à-dire « Neferibrê est le seigneur de la force ». Ce nom basilophore suggère que la période d’activité principale de ce personnage, et le moment où il était le plus en faveur auprès de la monarchie, inclut en partie le règne de Psammétique II, qui précède celui d’Apriès ; mais ce n’est pas absolument certain, car les noms basilophores peuvent être donnés bien plus tard que le règne auquel ils font référence.

 

Cette datation se trouve confirmée par des éléments stylistiques : cette statue de très bonne facture témoigne en effet du renouveau de la statuaire à l’époque saïte. On note en particulier le nombril rond et franc ainsi que le modelé du torse. Le sillon vertical des abdominaux, assez profond, se combine avec une division horizontale entre les pectoraux, bien marqués, la taille, et les hanches. Cette tripartition encore discrète, mais qui correspond à une pratique courante de la statuaire de la deuxième moitié de la XXVIe dynastie (PERDU 2012, p. 60-61). D’autres indices, notamment dans la syntaxe des formules d’offrandes, incitent à rattacher cette sculpture à la tendance archaïsante qui se développe fortement à la fin de la XXVe et au cours de la XXVIe dynasties (PERDU  2012, p. 189, no. 14).

Historic

La statue a été vue en 1853, brisée en deux morceaux, près du colosse de Ramsès II à Mit Rahina/Memphis (BRUGSCH, Reiseberichte, 1855, p. 68-69 (II) ; BRUNNER-TRAUT, ZÄS 82, 1958, p. 97, n. 5).

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian le 11 septembre 1912.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 284, "Torse d'un personnage qui présentait sans doute devant lui une image d'Osiris. L'inscription du pilier dorsal nous apprend que le [hiéroglyphes] de ce personnage était formé avec le cartouche [hiéroglyphes]. L'épaule droite manque complètement, ainsi que les bras. Basalte. Epoque saïte. Haut. 45 cent. environ. Estimé trois cent francs."

Donation Rodin à l’État français 1916.

Historic comment

La statue fut probablement achetée auprès de l’antiquaire Joseph Altounian qui l’expédia dans un lot d’objets le 31 août 1912 et le décrivit ainsi :  « 1 autre person. debout tenant Osiris frag. en granit 110 ( Co.00881 ?) 1 torse d’homme basalte verte 80 » (ALT 147, archives musée Rodin).

 

L’antiquaire Joseph Altounian, écrivait à Rodin du Caire le 10 Août 1912 : « Cher Maître, J’ai l’honneur de vous faire savoir que je viens de rentrer aujourd’hui même au Caire après avoir accompli le voyage dans la Haute-Égypte dont voici les principales étapes. Éléphantine, Abydos, Phylae, Héracleopolis, Sakhara, Memphis, etc., ou j’ai séjourné pour recueillir pour votre collection des fragments de bas-reliefs, granit, calcaire, basalte, bref tout ce que j’ai jugé pouvant vous intéresser. Ce lot renferme 24 pièces des bas-reliefs et des reliefs en creux des grands et des petits, le tout appartenant aux différentes dynasties ayant régné dans les régions que j’ai traversées, plus 19 pièces de fragments en ronde bosse le tout présente la sculpture des meilleures dynasties. » J. Altounian était parti du Caire en juillet 1912, et l’on peut suivre son périple sur son agenda (archives Altunian) : Minieh, Mallawi, Assiout, Abou Tig, Assiout, Sohag, Achmim, Abou Tig, Baliana, Abydos, Baliana, Keneh, Kous, Louxor, Sohag, Achmim, Sohag, Mallawi, Le Caire, où il arriva le 7 août.

 

Le 28 Août 1912, Altounian écrit au sculpteur : « Cher Maître J’ai l’honneur de vous annoncer que je suis arrivée à Paris depuis quelques jours. Je me suis présenté 77 rue de Varenne mais on m’a dit que vous étiez absent ; jour cela. Je vous adresse la présente à votre adresse à Paris espérant qu’on vous la faira suivre. Donc je vous prie cher Maître de me dire le jour que vous rentrez à Paris afin que je vienne vous soumettre le bordereau avec la nomenclature des objets que je vous ai expédié du Caire.». Le 6 septembre, Altounian recevait de Rodin « la somme de frs 850 (huit cent cinquante francs) comme prêt pour m’aider à dégager les 6 caisses antiques de la Douane ; Monsieur Rodin n’est pas engagé à acheter ce lot d’antiquités s’ils ne lui plaisent pas. Il achètera que ce qu’il lui plaira.». Rodin choisit un grand nombre d’œuvres de ce lot dont la statue Co.1194 et versa à l’antiquaire 5000 francs le 11 septembre 1912.

La statue fut exposée à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux la décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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