Error message

The text size have not been saved, because your browser do not accept cookies.

Rodin et les masques funéraires

 

"Regardez, à côté, ces têtes égyptiennes. Elles sont d'un art raffiné, plus complet, peut-on dire ; leur bouche a une expression volontairement sensuelle, leur chevelure est bien tressée, leurs grands yeux colorés par l'émail et par la pierre noire, sont très vifs. Ces têtes de terre ont la tristesse touchante, et l'expression générale de leurs lignes vous saisit profondément. Mais comparez-les à la petite divinité de pierre, leur voisine, faite par un artiste qui, à des esprits distraits, paraîtrait bien moins habile que ces Égyptiens : eh bien, ces têtes sont plus jolies que la petite divinité, mais elle ne sont pas plus belles… Comprenez-vous ?"

 

                                                                                                      Propos de Rodin par R. Canudo,
                                                    "Une visite à Rodin", Revue hebdomadaire, 5 avril 1913, p. 29.

 

Les masques égyptiens dans la collection de Rodin

 

 

Rodin devint collectionneur d’antiques au début des années 1890, alors que l’occident découvrait les richesses de l’Égypte post-pharaonique, un art de métissage enrichi par les apports gréco-romains, coptes puis islamiques. Le sculpteur acheta sur le marché de l’art parisien des masques, objets-phares qui constituaient les repères d’une époque dans l’Égyptologie moderne et étaient liés par la chronologie, les sites et les découvreurs.

 

Dans l’imaginaire collectif, leur mise au jour attisa l’ancestrale fascination pour la momie.

 

Dès les années 1880, apparaissèrent les premiers masques et portraits dit « du Fayoum ». Les fouilles se multipliaient, à Akhmîm sous la direction de Gaston Maspéro, au Fayoum, avec l’archéologue Flinders Petrie, suivi par les marchands Theodor Graf et Nicolas Tano. À partir de 1896, Albert Gayet œuvrait sur le site d’Antinoé, à la demande de l’industriel Émile Guimet qui présentait les premiers masques au public dès 1898 dans son musée parisien.

 

Les masques circulaient désormais sur le marché de l’art, éveillant autant de passion chez Rodin que chez ses contemporains, amateurs éclairés, artistes et autres collectionneurs, son ami le peintre Léon Bonnat, Henri Matisse ou encore Sigmund Freud.

 

D’après les reçus d’antiquaires conservés aux archives du musée Rodin, le sculpteur acheta tout d’abord deux têtes le 14 juin 1903 auprès de l’antiquaire Phocion Tano, fils de Marius. Cet héritier de la dynastie de marchands grecs installée au Caire dès 1870 est probablement le neveu de Nicolas Tano qui participa aux fouilles clandestines d’Akhmîm et fut en contact épistolaire avec Rodin en 1912.

 

Le 17 mars 1906, le sculpteur acquit une autre tête auprès de l’antiquaire H. Laurent. Georges Anastassiadis vendit un « masque grec de femme, les yeux en émail » le 23 octobre 1908 et proposa un autre masque représentant Ptolémée le 14 décembre, les deux issus de la même tombe.

 

Enfin le 11 novembre 1910, Oxant Aslanian expédia du Caire une caisse contenant un « masque de Cléopâtre en plâtre peint ».

 

En 1913, Charles Boreux recensait dans son Inventaire des Antiquités égyptiennes de la collection de Rodin pas moins de vingt et un masques dont certains tombaient déjà en poussière. Tous étaient exposés dans des vitrines, deux à l’hôtel Biron, le reste à Meudon – dix dans le pavillon de l’Alma, un dans l’atelier Tweed, cinq dans l’atelier de peinture, trois dans le bureau. Le sculpteur conservait encore dans une vitrine du Pavillon de l'Alma « douze yeux provenant de masques funéraires, de quartz et de verre enchassés dans un entourage en pâte de verre bleu, plus un oeil non enchassé et des fragments d’entourage d’yeux en pâte de verre bleu : le tout réuni dans une boîte de bois avec deux scarabées en terre émaillée ».

 

Le 16 septembre 1913, Georges Bénédite, directeur du département égyptien du Louvre, attirait l'attention sur cet ensemble remarquable : "M. Auguste Rodin possède, enfin, une très jolie collection de masques de sarcophages de l'époque gréco-romaine parmi lesquels les n° 391 et 555 sont particulièrement remarquables. Nous les avons cotés respectivement 1000 et 2500 francs."(Lettre de Georges Bénédite au Directeur des musées nationaux, 16 septembre 1913, archives musée Rodin)

 

Ni les reçus d’antiquaires ni l’inventaire établi par Charles Boreux ne mentionne de provenance.

 

Les masques de la collection de Rodin forment un ensemble particulièrement remarquable par leur état de conservation et par leur nombre. Ils ont été très peu restaurés, complétés ou repeints. Achetés à la source, au moment ou peu de temps après leur découverte, ils furent revendus au sculpteur dans la première décennie du XXe siècle. Exposés pendant une dizaine d’années, ils sont restés dans l’ombre des réserves depuis la mort de Rodin.

 

Ils furent redécouverts par le public, après restauration, lors de l'exposition Masques et tissus d'Egypte qui s'est tenue au musée Rodin du 27 septembre 2005 au 29 janvier 2006.

 

 

Les masques funéraires et l'art de Rodin

 

 

Rodin, quant à lui, intégrait les masques à sa collection naissante, comme un nouveau matériau pour nourrir son imaginaire et se superposer à son œuvre sculptée et dessinée dans un jeu des correspondances. Il repris dans sa sculpture le format découpé, la puissance et la polychromie des masques égyptiens pour créer le masque en pâte de verre d'Hanako, type E, daté de 1911. Ce portrait de l’actrice japonaise fascina les contemporains de Rodin qui l’associèrent, d’emblée, au surnaturel et au monde de l’au-delà :

 

« Quand j’entre dans la pièce, je suis irrésistiblement attirée par elle. Mes impressions changent à chaque fois, mais c’est toujours une impression de malaise. Je ne peux pas dire qu’elle ressemble à la mort, bien au contraire, elle est tellement vivante qu’elle est surnaturelle. »

 

                                                                                         Judith Cladel, Rodin, The man and his art, New-York, 1918

 

Rodin joua des effets de la pâte de verre – matériau qu’il qualifiait d’ « antique » - et de la polychromie pour nous livrer le portrait unique d’une rêveuse alors qu’il utilisa la terre à de nombreuses reprises pour modeler la colère de l’actrice. Le sculpteur prêtait au visage, comme les Égyptiens dans l’Antiquité, la force d’exprimer l’existence toute entière de la personne. L’impression surnaturelle qui parcourt ce portrait d’Hanako rejoint celle des masques funéraires égyptiens, objets de fascination au regard de verre étrange et parfois inquiétant, dans une même obsession à saisir la vie. 

 

                                                                               

            Auguste Rodin, Masque d'Hanako, type E

                              musée Rodin, S.00454 

        Albert Harlingue, Masque d'Hanako en pâte de verre

                    épreuve aristotype, musée Rodin, Ph.01992

 

Pierre Choumoff, Les masques funéraires dans une vitrine de l'atelier de peinture à Meudon, musée Rodin, Ph. 4099 - ©musée Rodin
Anonyme, Les masques égyptiens dans une vitrine du Pavillon de l'Alma à Meudon, épreuve gélatinoargentique, vers 1914, musée Rodin, Ph. 13634 - ©musée Rodin
Pierre Choumoff, Trois masques égyptiens dans une vitrine de l'atelier de peinture à Meudon, 20-23 novembre 1917, épreuve gélatinoargentique, musée Rodin, Ph. 830 - ©musée Rodin
Gustave Coquiot, Rodin à l'hôtel Biron et à Meudon, Paris, 1917. - ©musée Rodin
Eugène Druet, un masque dans une vitrine de l'hôtel Biron, vers décembre 1913, épreuve gélatinoargentique, musée Rodin, Ph. 2476 - ©musée Rodin
Eugène Druet, un masque dans une vitrine de l'hôtel Biron, vers décembre 1913, épreuve gélatinoargentique, musée Rodin, Ph. 2475 - ©musée Rodin (photo Jean de Calan)