Painmou/Pyrdès debout

Statue de dignitaire dans l’attitude de la marche

Égypte > Mendès probablement

Époque hellénistique et romaine > Ptolémées > IIe s. avant J.-C.

[voir chronologie]

Diorite

H. 43,8 CM : l. 23,3 CM : P. 25 CM

Co. 1116

Comment

State of preservation

L’œuvre, bien que lacunaire, est en bon état de conservation. La statue a été cassée horizontalement au niveau de la taille (la cassure n’est pas franche) et au-dessus des genoux. L’extrémité du pan de retour interne du pagne est cassée en biseau. Les bras, à l’origine positionnés sur les côtés, manquent. La trace des mains est conservée en creux contre chaque cuisse. Au dos, l’appui dorsal est encore présent sur toute la hauteur conservée de la statue. Plusieurs épaufrures et abrasions de la surface ont pu être observées, notamment sur les côtés des cuisses ; néanmoins, la statue a conservé la majeure partie de son poli d’origine.

Aucune trace de polychromie n’est visible.

Description

Ce fragment de statue en diorite représente un homme mince dans l’attitude de la marche, la jambe gauche en avant. Les empreintes des avant-bras et des mains indiquent que ses bras étaient plaqués le long du corps, les mains placées de part et d’autre du haut des cuisses, les poings sans doute serrés. Seuls son abdomen et ses cuisses, recouvertes d’un pagne court, sont conservés.

 

Torse nu, il est vêtu du pagne-chendjyt traditionnel, aux deux pans superposés à l’avant (le pan gauche sur le droit), et dont la languette trapézoïdale est visible entre ses jambes. Moulant et entièrement lisse, le pagne est maintenu sur ses hanches par une ceinture simple, portant une inscription hiéroglyphique incisée. Le pagne-chendjyt, à l’origine vêtement royal, devient, dès l’Ancien Empire, un élément ponctuel de la garde-robe des particuliers, avant qu’ils ne se l’approprient de manière plus fréquente au Moyen Empire (VANDIER 1958, p. 106, 108, 249). Aux époques tardives, il est de loin le costume court le plus répandu dans la statuaire (PERDU 2012, p. 46).

 

La silhouette du dignitaire est svelte, sa taille devait être cintrée. Le ventre a reçu un traitement particulièrement soigné : les flancs sont creusés pour mettre en valeur le bas de l’abdomen, légèrement bombé. On notera la régularité du trou circulaire signifiant le nombril, placé au creux d’un renflement en forme de goutte très réaliste.

 

L’attitude de l’homme debout, avec la jambe gauche avancée, est certainement la plus commune et donc la plus emblématique de la statuaire privée de l’Égypte ancienne. Des exemples en sont connus dès l’Ancien Empire, où on les trouve dans les mastabas, puis au Moyen Empire, où ils se répandent dans les temples. Par la suite ils ne cessent de se multiplier, jusqu’aux époques tardives, où on constate une remarquable diversité des formes (PERDU expo 2012, p. 50). Des parallèles à Co. 1116 peuvent ainsi être datés de la XXVe dynastie (VIIe s. avant J.-C.), telle la statue de Khonsouirâa au Museum of Fine Arts de Boston (Inv. N° 07.494), qui est presque complète (ne manquent que les pieds).

Au musée du Louvre est exposé un torse royal en grauwacke (Inv. N° E 25492), celui de Nectanébo Ier, un des derniers pharaons égyptiens (XXXe dynastie, 378-361 avant J.-C.).

 

Co. 1116 est datée avec certitude de l’époque ptolémaïque, en raison de son inscription. Il s’agit de la représentation d’un dignitaire de la ville de Mendès, nommé Pyrdès en grec (ou Painmou en égyptien), fils de Ânkhhor. Bernard von Bothmer (BOTHMER 1960) fut le premier à faire le rapprochement entre Co. 1116 et deux autres statues fragmentaires. L’une est conservée au musée de Cleveland (Inv. N° 1948.141) et représente Amenpayom, grand général de la ville de Mendès. La deuxième, au nom d’Archibios, est actuellement au musée Nelson-Atkins de Kansas City (Inv. N° 47.12). Sur ces deux statues le torse est conservé, ainsi que les mains, refermées sur les cylindres, sur celle de Kansas City. B. v. Bothmer (BOTHMER 1960, p. 125) suppose que ces trois statues ont été réalisées à la même époque et dans le même atelier de Mendès, étant donné que, d’après les inscriptions, les trois dignitaires sont originaires de cette ville. Mendès (aujourd’hui Tell el-Rob‘a) est une ancienne cité égyptienne dans le delta oriental, capitale et résidence royale à la XXIXe dynastie (de 399 à 380 av. J.-C.). Par ailleurs, un pharaon de cette dynastie, Achôris, est représenté dans la même attitude que les trois statues sus-mentionnées (Boston, Museum of Fine Arts Inv. N° 29.732).

 

Deux inscriptions hiéroglyphiques sont gravées en creux sur Co. 1116. La première est visible à l’avant, sur la ceinture du pagne. Il s’agit d’une ligne encadrée de deux traits. Comportant deux textes, le sens de lecture a été réparti depuis le centre (textes A et B). Orienté vers la droite ou vers la gauche, la gravure de l’inscription s’achève au niveau des bras. Autrement dit, elle ne continue pas entre le bras et l’appui dorsal. La deuxième inscription se trouve au revers de la statue, sur le pilier dorsal. Elle se compose de deux colonnes, qui se lisent de gauche à droite (textes C et D). Bien que les textes soient lacunaires, on y apprend les noms du dignitaire et celui de son père, ainsi qu’une partie de ses fonctions.

Les inscriptions de la ceinture nous apprennent en texte A qu’un certain Painmou (nom de type égyptien assez fréquent à la Basse Epoque, cf. RANKE 1935, p. 101 (7), est fils de Ankhhor et père divin (prophète) d’Harpocrate de Mendès. En texte B, pyrts (Pyrdès, nom de type grec, à lire Philôtas ?, cf RANKE 1935, p. 135 (8), fils de Ankhor, est père divin d’Osiris-Hémag et père divin d’Isis, la grande mère divine. Le dignitaire représenté sur cette statue, vraisemblablement un égyptien indigène intégré dans l’élite dirigeante, aurait porté un double nom. Nous pouvons donc supposer qu’il était bilingue, capable de s’exprimer et d’écrire en égyptien (sa langue natale, conservée dans la classe sacerdotale), comme en grec (langue des dirigeants).

L’inscription dorsale mentionne en texte C un dieu à l’identité non conservée, « fils de Kheredou-Ânkh, fille de Baneb[ded]… ». Une hypothèse de De Meulenaere (1966, pp. 44-45) suggère que ces inscriptions se rapporteraient à Imouthès (l’équivalence grecque d’Imhotep), dieu guérisseur à l’importance grandissante sous les Ptolémées. La mère d’Imouthès, Kheredou-Ânkh, est ici dite fille de Banebded. Il relève cette mention, qui pourrait constituer un indice pour établir un lien entre l’Imhotep contemporain de Djéser, qui aurait eu pour mère une Kheredou-Ânkh, avec la Kheredou-Ânkh de la statue Co. 1116, élevée à cette époque au rang de divinité.

 

L’attitude de Co. 1116 peut être rapprochée de trois autres statues de la collection Rodin :

  • Co. 3386, datée de la XXIIe dynastie, au nom du vizir Ânkh-Osorkon.
  • Co. 1420, au nom de Nectanébo Ier (un des derniers pharaons égyptiens, à la XXXe dynastie).
  • Co. 1414, qui représente le roi Ptolémée III Évergète Ier.

Inscription

Ceinture

Texte A : (D-G)

Le père divin / prophète (?) d’Harpocrate, le grand dieu qui réside à Mendès Painmou fils de Ânkhhor

Texte B (G-D)

Le père divin / prophète (?) d’Osiris Hémag, et d’Isis la grande, mère du dieu Pyrts (Philôtas ?), fils de Ânkhhor.

 

Pilier dorsal

Texte C (G-D)

« …Philôtas ( ?), fils de Ânkhhor. Il dit à son maître bien aimé : j’appartiens à tes gens, ô héritier de Path, fils de Kheredou-Ânkh, fille de Baneb[ded]… »

Texte D (G-D)

« …du ba-ir-ouann dans le nome de Mendès, pour donner toute santé… ».

 

Sur le culte d’Harpocrate de Mendès : Urk. II, 31.

Le dieu était assimilé au culte de Banebdjed et Hatmehat, ses parents, avec lesquels il forme la triade de Mendès. DE MEULENAERE, MACKAY 1976, 178-180.

 

Traduction Dominique Farout (2020).

Historic

Acquis par Rodin auprès de l'antiquaire Joseph Altounian le 11 septembre 1912.

BOREUX 1913 : Hôtel Biron, 16, "Bas du torse - jusqu'aux genoux - d'un personnage (roi ?) ; inscriptions sur la ceniture. Pilier dorsal à deux lignes. Les inscriptions sont difficiles à lire. Granit. Haut. 45 ; Haut. 25. Estimé mille francs."

Donation Rodin à l’État français 1916.

Historic comment

Ce fragment fut acheté auprès de l’antiquaire Joseph Altounian qui l’expédia dans un lot d’objets le 31 août 1912 et le décrivit ainsi :  « 1 frag. statue manque buste ayant seulement les jambes portant draperie granit gris à pois noir (matière rare) 80 » (ALT 147, archives musée Rodin).

 

L’antiquaire Joseph Altounian, écrivait à Rodin du Caire le 10 Août 1912 : « Cher Maître, J’ai l’honneur de vous faire savoir que je viens de rentrer aujourd’hui même au Caire après avoir accompli le voyage dans la Haute-Égypte dont voici les principales étapes. Éléphantine, Abydos, Phylae, Héracleopolis, Sakhara, Memphis, etc., ou j’ai séjourné pour recueillir pour votre collection des fragments de bas-reliefs, granit, calcaire, basalte, bref tout ce que j’ai jugé pouvant vous intéresser. Ce lot renferme 24 pièces des bas-reliefs et des reliefs en creux des grands et des petits, le tout appartenant aux différentes dynasties ayant régné dans les régions que j’ai traversées, plus 19 pièces de fragments en ronde bosse le tout présente la sculpture des meilleures dynasties. » J. Altounian était parti du Caire en juillet 1912, et l’on peut suivre son périple sur son agenda (archives Altunian) : Minieh, Mallawi, Assiout, Abou Tig, Assiout, Sohag, Achmim, Abou Tig, Baliana, Abydos, Baliana, Keneh, Kous, Louxor, Sohag, Achmim, Sohag, Mallawi, Le Caire, où il arriva le 7 août.

 

Le 28 Août 1912, Altounian écrit au sculpteur : « Cher Maître J’ai l’honneur de vous annoncer que je suis arrivée à Paris depuis quelques jours. Je me suis présenté 77 rue de Varenne mais on m’a dit que vous étiez absent ; jour cela. Je vous adresse la présente à votre adresse à Paris espérant qu’on vous la faira suivre. Donc je vous prie cher Maître de me dire le jour que vous rentrez à Paris afin que je vienne vous soumettre le bordereau avec la nomenclature des objets que je vous ai expédié du Caire.». Le 6 septembre, Altounian recevait de Rodin « la somme de frs 850 (huit cent cinquante francs) comme prêt pour m’aider à dégager les 6 caisses antiques de la Douane ; Monsieur Rodin n’est pas engagé à acheter ce lot d’antiquités s’ils ne lui plaisent pas. Il achètera que ce qu’il lui plaira.». Rodin choisit un grand nombre d’œuvres de ce lot dont le fragment Co.1116 et versa à l’antiquaire 5000 francs le 11 septembre 1912.

 

La statue fut exposée à l’hôtel Biron, parmi les chefs-d’œuvre de la collection égyptienne, là où Charles Boreux la décrivit à l’été 1913 dans l’inventaire qu’il fit en vue de la donation à l’État français.

 

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